Ses pieds lui faisaient l'effet de peser une tonne, et son cœur avait dû s'arrêter de battre en chemin, car elle ne le ressentait plus dans sa poitrine. Saradjie était debout devant chez elle, et elle essayait de mettre son pied droit devant son gauche pour y entrer. Mais cet exercice si naturel lui semblait impossible à exécuter en ce moment précis. C'était comme s'elle devait apprendre à marcher encore une fois, parce que personne ne lui avait appris comment faire pour aller affronter sa plus grande peur. Son père s'était toujours montré rétrograde, sévère et tout ça saupoudré de son caractère dictatoriale.
Elle se souvenait des sermons de son père pasteur contre les gais de Jacmel. Elle se rappelait comment il les qualifiait de démons, d'enfants du diable, et de mauvais esprits pervertis. Tandis qu'elle était là à mourir d'amour pour sa camarade de classe, assise devant elle à l'église, et à l'école. Elle savait ce que cela faisait d'être perdue à rêver de pouvoir embrasser la nuque de son amourette de jeunesse, et de sursauter avec la voix de son père qui lui disait qu'elle est une erreur de la nature, une conséquence du péché originel. Et qu'elle était obligée de fermer durement les yeux, juste pour ne pas regarder la nuque, douce, tentante de la fille qu'elle aime. Mais elle finissait toujours par imaginer quelque chose d'encore plus évocatrice, comme une fois elle avait imaginé les poils du duvet de la fille qui fleurissaient pour elle. Cette image était assez perturbante, si bien que jusqu'à présent elle était toujours présente à son esprit. Larmes aux yeux, elle se rappelait les derniers mots de son père lorsqu'il eut connaissance de ses préférences sexuelles après sa rupture avec Justin. Tout doucement, elle se le répétait tout bas : « Voilà ce qui arrive lorsqu'une femme croit qu'elle a le droit sur son corps. Elle se met à chercher son plaisir égoïste, et oublie son rôle divin qui est de procréer. ».
La jeune fille se demandait, si c'était réellement une mauvaise chose, du fait qu'elle n'était jamais allée voir son père à l'hôpital. Ne l'aurait-elle pas causé plus de mal que de bien ? Elle était fille unique, enfant gâté, choyé et aimé. Mais disgracié à la minute qu'elle ne fut plus celle que ses parents souhaitaient qu'elle soit. Et maintenant, aller voir sa mère n'est-elle pas encore une mauvais idée ? Tout le monde était à l'intérieur, dehors elle pouvait entendre leurs éclats de voix. Soudain, Saradjie se rendit compte qu'elle était à découvert et que n'importe qui peut passer sa tête derrière la barrière en fer de chez elle, et la découvrir planté là en train de prendre un bain de soleil.
L'âme en peine, elle marchait dans sa rue qui était déserte heureusement. Elle n'aurait pas pu supporter les regards curieux de ses voisins, d'hommes et de femmes qui pensent tout savoir sur elle, et s'octroyaient le droit de la juger juste parce qu'ils l'avaient vue grandir. Saradjie se dirigea vers le marché qui se trouvait à quatre pâtés de maison plus bas. Elle ne voulait pas rester seule, mais elle ne voulait être avec personne non plus. Elle alla sous la tente d'une marchande qui avait étalé sa marchandise aux pas de porte du marché. Quand soudain quelqu'un l'attrapa par le bras, c'était Kensley.
- Qu'est-ce que tu me veux ? Lâche-moi ! ordonna-t-elle agressivement.
- On te cherchait ! Et qu'est-ce que tu fais si près de chez toi ? Ne me dit pas que tu as pensé à t'y rendre toute seule ! s'exclama-t-il vraisemblablement inquiet.
- C'est ma famille je peux y aller quand je veux, c'est ma vie, je décide ce que je veux. s'obstina Saradajie l'air farouche.
- Non, tu te trompes. Il n'y a pas que toi dans l'histoire, tes actions ont des conséquences sur ceux que tu aimes. expliqua Kensley. Et je ne pense pas qu'on devrait continuer cette conversation ici. continua-t-il.
- Pourquoi tu dis ça ? questionna-t-elle, mais rapidement elle comprit où son ami voulait en venir parce que des gens qui l'avaient reconnue la pointait déjà du doigt, les gens s'attroupaient déjà près d'eux. Elle faisait l'effet d'une bête de foire.
Saradjie baissa la tête et marcha vite pour quitter ce lieu. Mais elle ne marchait pas assez vite, car elle entendit une marchande crier à une autre.
- Hé ma commère ! C'est la fille du pasteur qui est devenue lesbienne et a tué son père, oui !
- Oui, c'est elle ! Et on dit qu'elle n'est jamais venue le voir à l'hôpital ! Jésus !
- Oh Mes amis ! Quel démon a pris possession de son âme ?
- Moi, si ma fille se transforme en une abomination comme celle-là, j'aurai mieux fait de fermer mes cuisses sur son cou en la mettant au monde ! Je le jure !
- Oui, ces gens feront tout pour pouvoir continuer dans leurs vices ! C'est comme une drogue ma sœur !
La jeune fille n'en pouvait plus, elle regrettait amèrement d'être venue jusqu'ici. Elle voulait partir, loin, très loin d'eux et ne plus y revenir. Kensley, la soutenait dans la route car elle ne pouvait plus retenir ses larmes. Après qu'ils eut quitté la zone du marché, ils étaient à l'abri dans une petite rue dont les cours des maisons étaient entourés avec des pieds de candélabre. L'espace était tellement vert, c'était presque un havre de paix. Vint alors, une motocyclette qui s'approchait, Kensley hélait le conducteur, paya la course pour deux jusqu'à chez lui. Il était presque 2 heures de l'après-midi.
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Kaléidoscopie d'une vie
Short StoryJustin et Carlie grâce à la complicité du hasard se sont croisés dans un bus qui quittait Carrefour pour le Centre ville de Port-au-Prince. Depuis lors, les fils de leurs vie se sont entremêlés ; formant ainsi un noeud d'affection, de complicité et...