Chapitre 2 - 1

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"Et donc pourquoi il a fait ça, au final, Schrödinger ?

- C'était pour confronter les gens de la communauté scientifique à la théorie de la superposition quantique. En gros ça veut dire qu'à l'échelle quantique, ça marche à peu près comme pour le chat qui a deux états : en même temps mort et vivant.

- Mais c'est pas possible.

- Pas physiquement dans notre réalité, mais c'est comme ça que fonctionnent les élect-"

Teresa s'interrompit brusquement dans son explication lorsqu'un klaxon de voiture retentit bruyamment dans la rue. La grosse berline noire qui s'apprêtait à les dépasser descellera à leur niveau. Léo, qui attendait la suite de sa réponse, pressa sa main dans la sienne en râlant. "Alors, c'est comme ça que fonctionnent quoi ?" Sa sœur ne lui répondit pas, concentrée sur la vitre du côté passager se baisser et dévoiler Tim, l'air minuscule derrière le volant du véhicule. Il baissa le son de sa radio qui crachait les harmoniques particulières d'un groupe de metal underground et se pencha en leur direction.

"Salut, qu'est-ce que vous foutez à marcher sous la pluie ? Le bus c'est pas assez bien pour vous ?

- Tiens, quelle surprise ! Léo, je te présente Tim, qui a encore volé une voiture aujourd'hui à c'que je vois," attaqua-t-elle pour esquiver la triste réalité qui était qu'après les courses qu'ils avaient fait à l'autre bout de la ville, là où on pouvait trouver les aliments à un euro sur les rayons du bas, il ne leur restait pas assez d'argent pour payer le bus.

Tim ouvrit la portière du côté passager et leur proposa gentiment de les déposer quelque part et, comme elle ne voyait aucune raison valable de refuser, Teresa accepta avec mauvaise humeur. Il était hors de question qu'elle lui demande de les arrêter là où elle vivait.

"Tu peux nous déposer à la Poste ? On a encore deux ou trois trucs à faire avant de rentrer et on prendra le bus de là-bas.

- Pas de problème," a-t-il dit avec un hochement de tête entendu. Ils restèrent quelques instants silencieux avant qu'il ne relance la conversation, l'air maussade.

"Et pour ta gouverne j'ai pas volé cette voiture."

Il conduisait vite et avec une facilité qu'on aurait presque pu qualifier de virtuose. Jamais personne n'aurait parié que derrière un petit geek à lunettes qui a gardé son sac à dos Star Trek jusqu'en troisième se cachait un talent pareil pour la conduite.

"Je voulais pas t'offenser, mais t'as quel âge, dix-sept ans ? On est pas sensé conduire accompagné à cet âge ?"

Tim fit la grimace et désigna de la main le panneau correspondant, glissé sous le siège conducteur.

"Mon père insiste derrière le dos de ma mère pour que je prenne sa voiture sans lui. Il aurait préféré que son fils soit un de ces types populaires pas spécialement intelligents mais du genre qui organisent des fêtes quand les parents ne sont pas là et qui dirige l'équipe de rugby ou je ne sais quoi. Malheureusement pour lui ce spermatozoïde-là a du se perdre en chemin. Mais voilà, en conclusion il est aux anges que je sois invité à cette soirée stupide et a encore insisté pour que je prenne la route seul.

- Atypique," observa Teresa qui n'avait pas grand chose d'autre à dire.

"Ouais, mon père est assez... Spécial. Mais il est cool. Il m'a demandé d'aller lui acheter des bières et m'a dit d'en prendre pour ce soir.

- Oh, ce soir. J'avais oublié."

Elle avait un peu perdu la notion du temps cette fin de semaine avec toute l'agitation que Gerard avait causé, sa mère qui avait décidé de se server abruptement, avait tenu en tout et pour tout quarante-quatre heures avant de faire une crise de manque et manqué de mettre feu à l'appartement.

"Ouais, j'suis pas super emballé par cette soirée, tu sais," ajouta-t-il en triturant le volant avec ses doigts.

"Dis-toi que tu fais ça pour moi, alors. Sans toi je vais me faire chier à mourir là-bas !

- J'peux comprendre."

Ils échangèrent un regard coupable qui plongea instentanément Teresa dans un fou rire éloquent.

"Ça sonne extrêmement condescendant quand même.

- On sonne tout le temps comme ça si t'avais pas remarqué," ajouta-t-il en riant.

Puis, comme s'il venait de se souvenir de la présence de Léo derrière, il se retourna au feu rouge et lui sourit.

"Alors, Léo, c'est ça ? Tu trouves pas qu'on est condescendant ?" Il fit une moue surprise face au manque de réaction chez l'enfant qui lui jeta rapidement un regard et haussa les épaules avant de reprendre sa pose d'objet tourné vers la fenêtre. Tim se rassit normalement dans son siège et interrogea Teresa du regard.

"Il aime pas parler aux étrangers, faut pas lui vouloir."

La conversation s'arrêta à peu près là pour laisser place au silence. Finalement, Tim s'arrêta en double file juste en face de la Poste. "Bon, tu veux que je vienne te chercher ce soir ?

- Ouais, avec plaisir. Ici à dix heures et demi, ça te va ?

- Si tard ?"

Teresa ne put s'empêcher de ricaner tout en faisant sortir son petit frère. "Ça se voit que t'as jamais participé à ce genre de fêtes. Les événements intéressants commencent pas avant une heure du mat', alors on peut même considérer qu'on va arriver en avance."


Couchée immobile sur son lit défait, le regard vissé au plafond, Teresa profitait du silence si particulier en attendant le train de huit heures zéro six. Sa mère dormait sur le canapé, Léo jouait avec d'autres enfants en bas de l'immeuble. Il lui disait toujours à quel point il trouvait les autres enfants stupides mais parfois, elle se sentait obligée de l'envoyer au milieu des autres pour qu'il apprenne la vie sociétale. Elle n'avait pas envie qu'il finisse misanthrope, bien qu'elle suspecte chez lui quelques prédispositions. Déjà qu'il n'allait pas à l'école...

Le train fit trembler les murs si soudainement qu'elle en fut surprise. Elle ferma les yeux, compta les secondes avant que le bruit ne s'éteigne decrescendo et ne bougea pas pendant de longues minutes, même longtemps après que le roulis du train ai disparut.

Avant de partir, incapable d'avaler quoi que ce soit, elle se contenta de préparer deux sandwiches. Elle laissa Léo manger tranquillement dans la cuisine et en posa un sur la table basse près de sa mère avant de partir. Elle n'était pas inquiète de laisser son petit frère car elle savait très bien qu'il l'appellerai instantanément si quelque chose dérapait.

Dehors, elle prit le temps de relever la tête et d'observer les étoiles naissantes de la nuit. Elle se sentait fatiguée. Au fond, elle n'avait pas vraiment envie d'y aller. Comme souvent, d'ailleurs. Mais elle allait y aller quand même. Elle allait subir les conversations stupides des types envahissants qui essayeraient de la mettre dans leur lit, celles larmoyantes des filles alcoolisées qui se sont fait quitter par leurs mecs, la mauvaise musique trop forte, le mal de tête du lendemain. Tant pis.

Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant