Chapitre 10 - 3

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Olivier reposait dans un côté de la pièce, à jamais profondément endormi dans son fauteuil. Le cerveau de Teresa ne faisait pas le lien entre ce corps immobile et rougeâtre et son ami de désormais longue date. Elle n'eut pas le temps de s'en rendre compte, le lien ne s'établissait pas. Stella s'était mise à sangloter bruyamment. Elle parlait pour elle-même. Pourquoi t'as fait ça, pourquoi t'as fait ça, il est mort, putain, il est mort, Olivier, merde, non, non, non, Olivier, pourquoi t'as fait ça. Teresa sentait les larmes couler sur ses joues sans pour autant qu'elles ne fassent véritablement partie d'elle. Tout était voilé, impersonnel, rien n'était réel.

Le grand homme noir s'attelait désormais au cas de Stella. Teresa n'eut pas le temps de reprendre son souffle, de se remettre de son choc, qu'il empoignait les dreads de son amie d'une main tout en la gardant en joue de l'autre. Teresa hurla.

- Laissez-la ! LAISSEZ-LA, MERDE ! S'il vous plaît, s'il vous plaît, monsieur...

Elle détestait cette voix nasillarde, pleurnicheuse, en temps normal, mais là rien d'autre n'existait. Stella avait les yeux fous, terrifiés, révulsés. Lui aussi. Leur éclat bleu brillant illuminait le visage de Stella avec autant de puissance qu'un projecteur sur un plateau télévisé. Teresa se mit à s'agiter tout en continuant de s'égosiller. Elle pleurait, son nez saignait encore, elle s'était pissé dessus. L'homme n'en avait que faire, comme si ces cris n'étaient qu'un petit désagrément de plus. Stella, elle, ne hurlait plus. Elle avait fermé les yeux et ses lèvres s'agitaient en silence. Elle priait. Teresa se rendit compte qu'elle n'en savait pas assez sur son amie. Elle ne savais rien. Elle avait été aveugle et sourde tout ce temps. Elle ne connaissait pas ses parents, ni ses sentiments amoureux, ni ses rêves. Elle ne savait rien. Et elle n'en saura jamais assez si elle mourrait maintenant.

Olivier les regardait. Il ne disait rien et ne dira plus jamais rien, mais il était là. Pas dans son corps, mais de l'autre côté, encore flottant quelque part dans la pièce. Teresa agita les doigts. Elle pouvait parler. Elle avait une voix. Cette voix suppliait.

- S'il vous plaît, je vous en prie, ne la tuez pas. Tuez-moi, s'il vous plaît.

Cette dernière phrase sembla attirer l'intérêt restreint de leur bourreau. Il se retourna et la distilla du regard. Tu préfères mourir à sa place, demanda-t-il d'une voix amusée, c'est drôle ça, pourtant tu pouvais partir en vie d'ici, il faut qu'un de vous qui parte vivant pour comprendre. Comprendre ce que ça fait. La mort.

Ses mots étaient hésitants du fait de la barrière linguistique, mais sa voix était assurée et glaçante. Olivier. Encore, elle voyait se superposer le visage d'Olivier et l'explosion de la femme-oiseau en boucle et en boucle dans son crâne, imprimé irrémédiablement sur sa rétine. L'homme s'impatientait.

- T'as compris ce que je dis ?

- Oui.

- Parfait.

De toute évidence, il s'agissait de son vocabulaire le plus fraîchement assimilé et il était heureux de s'en servir. Il semblait venir d'un pays slave, en vue de son accent ainsi que de son apparence - les tatouages, tout ça. Teresa s'étonna d'être en état de faire ces déductions malgré son choc et sa panique. Elle revoyait encore et encore le visage d'Olivier lors de cette dernière soirée tranquille à Paris, pleurant au-dessus de son verre de Bourbon, les épaules voûtées, le regard voilé. Elle focalisa à nouveau toute son attention sur ce qui se passait alors. L'homme avait repris sa position de merle agité. Il parlait mais Teresa n'entendait pas. Elle ne vit pas le coup arriver, une nouvelle fois.

- Alors ? Réponds, petite pute !

- Je... Je sais pas...

Elle se mit à bégayer de terreur. Stella avait les yeux clos de manière hermétique. Elle n'en finissait pas de prier. L'homme posa alors son flingue sur la petite table juste derrière lui, prit une chaise et se craqua les phalanges.

- Vous savez quoi ? Je vais pas te tuer tout de suite. Personne attend, on va s'amuser un peu.

Teresa n'eut pas le courage de demander ce qu'il entendait par là. Il avait un regard fou. Il fit un signe à la jeune fille qu'elle ne sut interpréter.

- Toi. Je vais détacher. Tu vas faire ce que je te dis ou je tue elle.

Il pointa Stella du bout du flingue qu'il avait récupéré. Il ne tenait apparemment pas en place. Teresa eut alors une illumination : il était drogué. Il se leva en précipitation, entreprit de détacher les liens qui entravaient les poignets de la jeune black. Il la tira par le bras, d'un coup rude, et elle tomba à genoux sur le sol : la drogue avait ankylosé ses muscles.

- C'est bien, dit l'homme, content de lui. Reste là.

Elle avait compris avant même que ça ne commence. Elle se mit à pleurer, les yeux fermés. Sentant le canon du pistolet contre sa nuque, elle releva la tête. Entendit le son d'une braguette qui s'ouvre. Les larmes redoublèrent.

- Ouvre les yeux.

Il s'approcha et se mit à lui caresser les cheveux d'un geste affectueux. Vas-y. C'est ton heure de gloire. Elle cessa de pleurer presque instantanément. Son sexe était dur et immonde. Elle retint un haut le cœur, tout en sachant qu'au moindre faux-pas la tête de Stella volerait en éclat contre le mur. Bientôt, le cerveau fit son travail et elle ne pensa plus à rien, l'esprit anesthésié. Elle ressentait le tremblement très léger des jambes de son bourreau, le goût insupportable dans sa bouche, et ce fut à peu près tout. L'homme se perdait en explications jubilatoires. Tu sais, je me fais sucer que par des noires. Question éthique. C'est comme ça qu'on dit ? Tu fais ça bien, bravo. Bonne fille. Continue. Vas-y.

Stella pleurait, elle. Teresa l'entendait dans un coin de la pièce. Elle supportait le regard lourd d'Olivier sur son visage rouge. Elle ne sentait plus ses mains ni ses genoux. Elle ne sentait plus rien. Elle connaissait ce sentiment depuis longtemps.

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Le prochain chapitre est tout aussi graphique. Âmes sensibles s'abstenir. Je rigole pas.

Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant