Dehors, nuit noir. Nuit de cendres, de silence, lourde comme un voile de laine obscure. Teresa était en rude redescente de la cocaïne et ses mains tremblaient sans qu'elle ne puisse les arrêter. Pourtant, elle gardait un calme exemplaire. Un pilier de contrôle, tandis que Stella avait du mal à rester en place. Pour s'occuper, elle poussait le fauteuil d'Olivier, qui semblait sur le point de s'endormir. "Les cachets," leur a-t-il expliqué avec sérieux. Étrangement (ou peut-être pas tant que ça) il ne souriait plus. Il était froid comme la pierre. Pire que Teresa. Elle, s'était nettoyée le visage et avait changé de pull rapidement avant de s'enfuir. Passer le fauteuil roulant par la fenêtre tout en soutenant Olivier qui ne pouvait plus se servir de ses jambes, l'aider lui à escalader l'ouverture, les avaient laissé haletant, et désormais qu'ils marchaient d'un pas mesuré pour ne surtout pas attirer l'attention, Teresa tirant la valise derrière elle et faisant un bruit d'enfer, aucun n'osait prononcer un mot. Ils durent appeler un taxi, car à cette heure de la nuit aucun métro ne passait, et se débattirent comme de beaux diables pour tenter de plier le fauteuil dans la malle. Heureusement, ce n'était pas l'argent qui leur manquait, mais il leur fut difficile de voir s'en aller presque soixante euros dans le transport alors que les billets allaient leur faucher toutes les économies. Surtout maintenant qu'Olivier était avec eux.
Dans le taxi, lui et Stella discutaient à voix basse et Teresa faisait semblant de ne pas les entendre pour ne pas les déranger.
- Comment tu te sens ?
Teresa toussa dans sa main sans comprendre qu'on s'adressait à elle. Elle était encore choquée par l'explosition, le sang, les yeux qui éclatent comme des fruits passés jetés contre un mur. Elle la sentait dans ses os comme si la scène se répétait encore. Elle se revit, dans le miroir, couverte de sang. Elle planqua ses mains sous ses cuisses pour qu'on ne la voit pas trembler.
- Ça va, Tesa ?
- Ouais, ça va.
- Putain, enchaîna Stella sans laisser de silence après sa réponse moyennement sincère, c'est ouf comment sa tête a...
Elle n'en dit pas plus. Heureusement, le chauffeur avait fermé la vitre entre eux et ils parlaient à voix très basse.
Le reste du trajet se fit en silence. Teresa regardait par la fenêtre et Stella tenait fermement la main d'Olivier dans la sienne. Elle avait été très secouée et étreinte de remords lors de son "accident" (ils répugnaient tous à parler de tentative de suicide. Les mots avaient un trop gros impact, mais comme elles s'en rendront compte par la suite, Olivier en parlait très peu souvent, mais lorsqu'il le faisait il ne mâchait pas ses mots) et avait paniqué pendant des jours à l'idée qu'ils l'envoient en HP, loin de là où elle pourrait le voir. Ils n'avait pas été séparé depuis qu'ils s'étaient installés ensemble au hangar, soit deux ans auparavant.
Dans l'aéroport, il n'y avait pas grand monde. Errant dans les grands couloirs vides, le son de la valise et le roulis rassurant et si peu habituel du fauteuil d'Olivier plongeaient presque Teresa dans une sorte de transe peu agréable. Elle débordait d'angoisse. Et si ils rataient l'avion ? Et s'il était détourné ? Que feraient-ils alors, prendre un hôtel ? Prendre un bâteau ? À la nage ? Son esprit paniqué s'envolait en pensées irrationnelles qui ne lui ressemblaient pas. Et arrivés à New-York, alors ? Seulement des centimes dans les poches, sans endroit où dormir ? C'était une galère sans nom dans laquelle ils s'étaient enfoncés. Assis sur les sièges d'attente devant la porte menant à l'avion, en attendant de vérifier leurs passeports, elle se prit la tête entre les mains.
En plus de tout cela, le manque se pointait. Elle n'avait absolument rien sur elle. Essayant de ne pas y penser pour éviter de paniquer encore plus, elle se frottait les mains à répétition, peu envieuse d'attirer l'attention des deux autres.
Ils attendirent des plombes ; si longtemps qu'Olivier finit par vraiment s'endormir, la tête rejetée en arrière sur son fauteuil. C'était étrange de le voir comme ça. Stella avait l'air de ne pas s'en remettre. Finalement, comme le moment de monter dans l'avion était retardé, (la voix dans les hauts parleurs du hall leur avaient fait échanger des regards terrifiés) Teresa s'excusa et en profita pour aller dans les toilettes. Appuyée contre le vasque un peu sale (était-ce du sang sur ses mains ? Elle se mit à les laver compulsivement plusieurs fois) elle réfléchit. Avec sa caractéristique froideur mathématique, elle se posa. Elle ne pouvait pas se permettre une crise de manque dans l'avion, avala trois Xanax qu'elle trouva au fond de sa poche et qu'elle gardait toujours là en cas d'urgence pour retarder la montée insupportable du manque, calcula quand elle avait pris sa dernière dose et assuma qu'il lui restait quelques heures de tranquillité. Combien de temps de vol jusqu'à New-York ? Trop longtemps. Peut-être sept ou huit heures. C'était bien trop. Elle n'allait pas tenir. Elle tenta encore de se calmer. Son cœur frappait comme un fou furieux dans sa poitrine et elle posa sa main dessus, respira profondément. Ça va le faire. Tu vas y arriver. Huit heures, c'est rien du tout. T'as déjà arrêté bien plus longtemps que ça. Et arrivé à New York t'essayeras de te sevrer. Promis, juré.
Finalement, après avoir étiqueté leurs bagages et montré papiers et billets à la femme endormie du guichet, ils embarquèrent. Il était quatre heures quarante-cinq. Les pillules avaient bien marché pour Teresa et après avoir lutté quelques minutes en regardant l'avion décoller et la ville devenir de plus en plus petite derrière eux, elle sombra dans un sommeil de plomb. Elle était épuisée, de toute manière. Seule Stella resta éveillée, lisant avec fièvre une revue people qu'elle avait trouvé derrière le siège. Si elle était agitée, elle le cachait désormais plutôt bien. Ils ne parlèrent presque pas en huit heures, même lorsque Olivier se réveilla après deux ou trois heures de vol, sauf de banalités désobligeantes. La bouffe de l'hôpital. La couleur des nuages, les étoiles, le dernier livre que Stella avait tenté de lire (un truc sur des SS auquel elle n'avait rien compris, trop de mots en allemand et des grades militaires trop spécifiques), autant de conversations éphémères que Teresa entendait à peine au-travers de son sommeil agité. À moins que ce ne soit dans ses rêves.
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20k????!!!?!??!? Le meilleur des cadeaux de Noël, ça compense le fait que mon père a zappé mon existence
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Les anges meurent aux balcons
Fiction généraleÀ dix-sept ans, Teresa habite dans une cité mal famée en compagnie de sa mère héroïnomane et de son génie de petit frère. La dureté de sa condition ne lui fait pas croire à un avenir radieux mais elle n'imaginait pas que ses fréquentations la mènera...