Chapitre 3 - 3

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Teresa était finalement rentrée chez elle en compagnie de Luka, qui s'ennuyait à mourir et avait voulu prendre l'air, profitant de l'occasion pour venir saluer la petite famille. Personne ne les attendait dans le salon, pas de "Enfin, tu es là ! Où étais-tu passée ?", rien. Juste le silence, juge sévère et aveugle. Elle déambula quelques minutes dans le salon, désorientée par le calme étrange. Hélène n'était nul part en vue. Vu l'état du lit, elle avait dû partir il y a plusieurs jours déjà. Teresa avait l'impression de revenir d'un très long voyage ou de la guerre, de redécouvrir son quotidien, mais d'une façon un peu différente, légèrement erronée. Tout sonnait faux.

Finalement, elle trouva sa mère qui dormait sur son lit, couchée sur le dos, le visage dissimulé dans l'ombre. C'était étonnant qu'elle soit seule à la maison. Peut-être Barthélémy avait-il emmené Léo et Hélène manger une glace ou quelque chose du genre. Elle rejoignit Luka qui l'attendait sagement dans le salon, observant des photos.

- Elle fait une sièste. Tu veux rester un peu mater un film ?

- Carrément. T'as pas un truc à manger aussi ? demanda-t-il, plein d'espoir.

Il n'y avait souvent rien de très comestible chez Georges. Teresa fouilla dans le frigidaire et trouva des crèpes encore sous cellophane, datant de la veille. Ils s'installèrent sur le canapé avec leurs crèpes au sucre et regardèrent le premier DVD qui leur passa sous la main, à savoir Le Grand Bleu, qui s'avérait être chiant à crever et ils somnolèrent tout du long, bercés par la musique. Il n'y avait rien à faire et deux bonnes heures plus tard, personne n'était encore rentré et Luka s'étira dans son siège.

- Bon, je pense que je vais y aller. Aider Georges à ranger l'appart', tout ça. Ta mère est réveillée ? Que je lui dise bonjour quand même.

Teresa retourna dans sa chambre à petits pas, ne sachant pas très bien comment la réveiller. Elle l'appela à mi-voix, sans réponse. Insista un peu plus.

- Eh, debout, y'a Luka dans le salon. Il veut te dire bonjour. Y'a personne à la maison.

Silence de mort.

- Maman ?

C'est vrai qu'en ouvrant la porte un peu plus large, on pouvait observer un rayon de lumière se refléter contre une seringue en verre dans le désordre des couvertures. Ses yeux étaient deux grandes billes vides fixant le néant d'un air terrifié. Teresa eut un sursaut en arrière, un cri coincé dans sa gorge. Elle resta une éternité complètement inerte, à fixer la scène, choquée, incapable du moindre mouvement, l'esprit vide. L'information ne montait pas jusqu'aux cellules nerveuses et la laissait pétrifiée sur le seuil de la porte dans un glapissement étouffé.

- Teresa, qu'est-ce que tu fous ? Je dois y aller, moi. Y'a un... Oh putain d'merde ! Putain !

Luka avait débarqué derrière elle et, devant la scène d'horreur qui lui était livrée, se mit aussitôt à hurler de frayeur, battant en retrait hors de la chambre avec un haut-le-coeur. Le long instant qui suivit fut un mélange incompréhensible dont Teresa sera incapable de se remémorer avec clareté par la suite. Le choc la rendit insensible et déconnectée, immobile. Luka, lui, reprit très vite ses esprits après être resté un moment appuyé contre le mur, les yeux clôts. Il essaya de la tirer de son état de choc, sans grand succès, la prit par les épaules en la faisant reculer. Dès lors elle resta muette. Luka l'assit sur le canapé et appela la police.

*
Comme Teresa l'apprit plus tard, Barthélémy avait découvert plus tôt dans la journée Agnès complètement arrachée sur le canapé du salon. S'en était ensuit une dispute animée comme il s'en était déroulé tant sous ce toît entre Barthélémy, furieux, blâmant son irresponsabilité, non mais pense aux enfants, t'es devenue folle ou quoi ? Il était reparti avec Léo, refusant d'être dans la même maison qu'elle tant qu'elle était défoncée. Hélène, elle, n'était déjà plus à la maison et était repartie chez ses parents à elle depuis quelques jours.

Personne ne sait exactement ce qui a bien pû lui passer par la tête. Les délires de la drogue, l'absence de sa fille qui traînait en longueur, le sentiment d'abandon de la fuite animée de Barthélémy qu'elle avait prévu de demander en marriage par la suite comme en attestait la bague dans son écrin que la police trouva dans sa chambre. Elle s'était injectée une seconde dose et était partie se coucher pour ne plus jamais se relever.

Luka était pâle comme un mort, les mains tremblantes. Il avait refusé de quitter la maison malgré la demande des policiers et voilà maintenant deux heures qui était immobile tout prêt de Teresa à lui serrer la main sans rien dire. Léo était assis à ses côtés aussi. Il était encore petit et n'était pas affecté de même sorte. Teresa s'était bien plus comportée comme une mère pour lui que sa mère véritable.

Teresa, elle, n'avait toujours pas prononcé un mot. Incapable de répondre aux questions qu'on lui posait, elle n'avait pas bougé du canapé et fixait Barthélémy qui s'occupait de tout avec un sang froid impressionnant. Il répondit aux questions des flics pendant de longues heures. Le procédé était complexe et prenait des plombes. Finalement, au moment d'embarquer le corps, Barthélémy s'assit à même le sol de la cuisine et tenait dans ses main l'incrin de la bague que prévoyait de lui offrir sa future femme. C'était une bague basique, sûrement même pas en argent, un simple anneau fin et brillant. Il se mit à pleurer en silence, sur le carrelage froid, sans même chercher à cacher ses larmes qu'il laissait couler sur ses joues, le visage tourné vers la fenêtre, comme un enfant. La peine que Teresa lisait sur ses traits lui firent encore plus de mal que la mort même de sa mère. Parce qu'on lisait sur ce visage un amour véritable. Sa mère avait enfin trouvé quelqu'un de bon pour elle, qu'elle aimait et qui l'aimait, mais encore une fois la drogue l'avait emporté. Teresa avait suffisamment de lucidité - et d'expérience elle-même - pour comprendre les fils imbrisables qui la maintenaient liée à la seringue.

Puis les services sociaux étaient arrivés. Barthélémy n'avait aucun droits sur eux ni sur la maison et ne pouvait se permettre de les héberger dans son deux pièces minuscule. Une gentille femme blonde leur avait tout expliqué à voix basse alors que ses deux collègues, deux types silencieux, accaparaient Barthélèmy qui semblait aussi perdu qu'eux.

- Est-ce qu'il y a quelqu'un que tu pourrais appeler ? Pour que ton frère et toi aient un endroit pour y rester en attendant que l'on trouve une alternative pour vous deux ?

Léo serra un peu plus fort le bras de sa soeur et se remit à pleurer silencieusement. Qui pouvait-elle appeler ? Les premiers à lui venir à l'esprit furent Sam et Lionel. Ils habitaient une petite maison en périphérie de la ville. Son seul oncle et dernière famille avait eu des problèmes avec la justice l'année précédente et les autres personne auxquelle elle pouvait penser n'étaient pas des exemples de stabilité familiale. Et puis elle connaissait les jumeaux depuis une éternité. Tout d'un coup elle sentit les larmes monter. Elle observa le sac à macabé transporté par les deux flics et les lumières bleues du véhicule des urgences qui se répercutèrent contre la télévision lorsqu'ils ouvrirent la porte pour laisser passer le corps.

Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant