Les affaires marchaient vraiment bien. Teresa n'a pas vraiment vu à quel moment elle a commencé à faire partie intégrante de l'équipe de choc que formaient Stella et Olivier et sans s'en rendre compte elle se mit à participer à chaque vente, à mettre sa contribution pour les comptes - un art qu'elle maîtrisait à la perfection - et à courir d'un côté à l'autre de la ville pour avoir un coup de téléphone avec leur distributeur quand ils arrivaient à court de cargaison. Ils vendaient de la cocaïne, beaucoup, et des opiacés. Parfois, de manière récréative, ils vendaient aussi de l'herbe, mais c'était comme un cadeau en plus pour les clients réguliers qui achetaient un gros lot.
Très vite, Teresa s'est vue faire plus d'argent qu'elle n'en avait jamais eu de toute sa vie. Stella et Olivier vivaient très bien, ne manquaient jamais de rien, et pourtant ils s'obstinaient à vivre dans ce hangar. La plupart de leur argent, Olivier l'envoyait à son père sans explication, Stella donnait à des œuvres caritatives ou achetait des sacs à main de haute couture. Dans un premier temps, Teresa profita de cet argent sur coups de tête. Elle acheta une grande maison Playmobile à son petit frère, acheta un grand manteau magnifique pour l'hiver, découvrit des restaurants friqués du centre-ville dans lesquels elle avait toujours rêvé d'aller.
Et puis rapidement, cet argent supplémentaire a aidé à payer sa drogue. Malheureusement, plus on peut se le permettre plus on en achète. Elle n'avait plus peur de ne pas pouvoir payer la fac mais craignait maintenant que les professeurs ne captent que la plupart du temps, même en cours, elle planait.
Sa consommation d'Oxys, qui était restée occasionnelle pendant des années, était passée à une dose tous les deux jours, puis une dose par jour, puis matin et soir. C'est malin, la drogue. On devient accro sans s'en rendre compte. On est certain qu'on gère, jusqu'au jour où on fait sa première crise de manque parce qu'on a raté sa sniff de trois heures. Les doses de trop, elle connaissait. Dans une soirée, avec un peu trop d'alcool dans le sang, on a du mal à doser, on se fait un trip trop gros, on finit par s'évanouir dans les toilettes pour plusieurs heures, une nuit, généralement pas plus. Elle ne comptait plus les fois où George l'avait trouvée sur le sol de la salle de bain, ayant un peu forcer la main.
Mais là, c'était une autre sorte de danger. Teresa se mit à vivre sur un fil de funambule. Tout comme un diabétique avait besoin de ses médicaments, elle avait besoin des siens. Le corps accepte la drogue, au final. Il devient résistant. On doit augmenter les doses pour sentir un effet. À être défoncée trop souvent, les gens commençaient à poser des questions. Léo avait remarqué que quelque chose ne tournait pas rond. "Ca va, Teresa ? T'as l'air ailleurs." Les cours prirent fin rapidement, et heureusement, car il était difficile de rester concentré. Endormissements intempestifs en plein cours de maths, la tête qui claque contre le bureau, les professeurs qui se penchent sur le cas Pschutt avec bienveillance, puis avec inquiétude. "Tu veux aller à l'infirmerie ? Qu'on appelle tes parents ?" La blague, appelez donc mes parents, ouais. Les tombes répondent pas au téléphone.
Ce fut la pente glissante, le danger qui se rapprocha trop vite, l'addiction qui se développait comme un cancer. Puis il y eut la fois où elle s'endormit à table, autour du pot au feu, et ne se réveilla qu'au sol, Olivier et Stella au-dessus d'elle.
- Oh, putain, j'allais t'en foutre une si t'ouvrais pas les yeux. Qu'est-ce qu'y a, t'es malade ? T'as besoin qu'on t'emmène à l'hôpital ?
- Non, non... (Teresa se redressa sur ses coudes, les yeux collés, la voix rocailleuse) J'suis juste un peu défoncée.
- Un peu ? Un peu ?
Même sans le regarder, elle pouvait savoir qu'Olivier était en colère. Néanmoins, il ne criait pas. Olivier n'élevait jamais la voix. Il l'aida à s'asseoir sur sa chaise, lui passa son verre.
- Bois de l'eau.
Il y eut un long silence gêné. Teresa avait du mal à garder les yeux ouverts.
- Tu vas finir par te tuer, Teresa.
Elle fit semblant de ne pas entendre. Il le répéta un peu plus fort.
- Non, je gère.
- Tu gères rien du tout. Tu crois qu'on te voit pas faire ? On dit rien parce qu'on a rien à te dire, mais je vais pas te laisser couler sans rien faire.
- Faut que t'arrêtes, avant de sombrer avec cette merde. T'en prends tous les jours ?
Teresa hocha la tête. À ce moment, un client fit son entrée et Stella est allée s'en occuper, Olivier ne bougeant pas d'un centimètre, les yeux rivés sur son amie. Il parlait d'une voix dure, comme un père réprimanderait sa fille. Après tout, il était plus vieux qu'elle.
- On peut t'aider à rester clean, tu sais. On peut aider, à tout ce que tu veux. On est prêt. Comment tu veux arriver à suivre les cours l'année prochaine si t'es toujours défoncée ? (comme elle ne répondait pas: ) Et Léo, tu vas aller le voir défoncée ? Tu vas lui faire vivre Agnès une deuxième fois ? Perdre sa sœur en plus de sa mère ? Il a cinq ans, tu réalises ?
Teresa ne pouvait pas parler. Elle se contentait d'hocher la tête en rythme. Olivier n'était même pas certain qu'elle comprenait ce qu'il disait. Il la pressa de boire son verre d'eau.
- Écoutes, vaut mieux que t'ailles pioncer. On en parlera demain à tête reposée. T'en dis quoi ?
- Ouais, okay.
Elle s'endormit dans la seconde où elle se mit au lit, et à trois heures du matin se réveilla dans un sursaut, complètement terrifiée. Elle mit quelques secondes à reconnaître où elle était. Elle se souvenait vaguement de la conversation avec Olivier, et le peu qu'elle gardait en mémoire suffit à la tenir éveillée tout le reste de la nuit.
Olivier était réveillé. Elle se glissa hors du lit et s'approcha de lui en silence. Ils ne dirent rien un long moment, Olivier apparemment focalisé sur l'observation du lampadaire dehors, Teresa l'esprit si bruyant, si agité, qu'elle ne pouvait formuler une seule pensée. Finalement, d'une voix pleine de douleur, elle dit en s'accrochant à son bras : "J'ai peur de devenir comme ma mère, Oliv."
Il lui pressa le bras et ébouriffa ses cheveux d'un geste affectueux.
- Tu deviens pas comme ta mère. Faut juste que tu te reprennes en main. T'es forte, tu vas y arriver.
- Tu crois ?
Il hocha la tête avec le sérieux d'un vieux sage et replongea dans son silence de plomb. Olivier ne parlait plus beaucoup.
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J'ai vraiment l'impression de publier régulièrement c'est fou
Ne vous y habituez pas, je reprends les cours lundi et je sais pas si cette prépa me laisser le temps d'écrire les folles aventures de Teresa très souvent
*se cherche totalement des excuses*
Bref jvm bye
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Les anges meurent aux balcons
General FictionÀ dix-sept ans, Teresa habite dans une cité mal famée en compagnie de sa mère héroïnomane et de son génie de petit frère. La dureté de sa condition ne lui fait pas croire à un avenir radieux mais elle n'imaginait pas que ses fréquentations la mènera...