Ils eurent enfin le droit de le voir mercredi après-midi, alors que sa famille rechignait à quitter la chambre. Ils essuyèrent des regards noirs lourds de sens. Un médecin resta à la porte, les yeux perçants brillants dans la pénombre de la pièce. Ils avaient baissé les stores au maximum et Olivier semblait dormir. Après un moment d'hésitation, Stella posa ses mains sur les barreaux du lit, la voix mal assurée.
- Il est dans le coma ?
- Non, dit le docteur de sa voix la plus professionnelle. Plus maintenant. Il est sorti d'affaire.
- Alors il n'aura pas de... répercutions ? demanda Gautier, qui ne semblait pas certain du bon usage de ce mot.
- Il présente des lésions cérébrales traumatiques importantes. Il est possible qu'il ne puisse plus se servir de ses jambes.
- Plus jamais ? demanda Stella d'un air horrifié.
Le docteur hocha la tête.
- Mais alors, il sera en fauteuil toute sa vie ?
- C'est ce qu'on croit, en effet. Il est possible qu'il présente des déficiences au niveau de la parole, mais on est sûr de rien pour le moment.
Suivit un silence lourd qui se prolongea un long instant. Stella ne pleurait plus et se contentait de fixer le visage d'Olivier, plongé dans l'ombre. Gautier, d'un air digne, observait avec intérêt un détail de sa main droite et Teresa avait la nausée. Elle s'assit sur un fauteuil de disponible. Pour la première fois de sa vie, elle goûtait à la saveur nauséabonde de la culpabilité. Elle lui laissait un parfum dégueulasse dans la bouche et dans la gorge, lui donnait envie de rejetter son déjeuner. Cependant elle tint bon, vaillamment accrochée à l'accoudoir de sa chaise.
- Il n'y a rien à faire, alors ? demanda-t-elle d'une voix blanche, si peu assurée qu'on lui demanda de répéter. Je veux dire, est-ce qu'on peut espérer une quelconque amélioration ? Dans le futur ?
Elle se ressaisit admirablement et secoua la tête. Le docteur semblait occupé à autre chose, checkant son téléphone avec une relative discrétion.
- On ne peut pas encore le dire. C'est possible. Enfin, mieux vaut garder espoir mais pas la peine de se voiler la face non plus.
Teresa observa son professionnalisme faiblir et se mit à le scruter d'une manière qui le mit mal à l'aise. Il balança son grand corps d'un côté puis de l'autre, apparemment pas habitué à recevoir des regards d'une telle noirceur. Il se racla la gorge et resta planté là, armé de son faux air décontracté. De toute évidence, les parents d'Olivier lui avaient donné consigne de ne pas quitter la pièce.
Gautier était venu s'asseoir près de Teresa et fixait le lit d'Olivier d'un air éteint. La jeune fille y lut un mot clair : redescente. Dans un élan de sollicitude amicale peu habituelle, elle lui tapota le bras pour lui donner du courage et il répondit par un sourire discret.
Ils quittèrent la chambre au bout de vingt minutes, mis mal à l'aise par le regard insistant du médecin et démoralisés par l'absence de réaction d'Olivier, toujours immobile, les yeux clos. Ils s'arrêtèrent dans un Mac Donald's à la sortie de l'hôpital, mais aucun n'avait vraiment faim. Cependant, ils commandèrent et mangèrent dans un relatif silence tendu.
- J'arrive pas à réaliser, dit Stella au-dessus de son gobelet de Coca.
Gautier hocha la tête d'un air entendu, les mains pleines de mayonnaise. Stella n'en avait pas fini.
- C'est vrai, quoi, est-ce qu'on aurait pas pu l'aider ?
- J'en sais rien, Stella. Peut-être qu'y a rien à faire.
VOUS LISEZ
Les anges meurent aux balcons
General FictionÀ dix-sept ans, Teresa habite dans une cité mal famée en compagnie de sa mère héroïnomane et de son génie de petit frère. La dureté de sa condition ne lui fait pas croire à un avenir radieux mais elle n'imaginait pas que ses fréquentations la mènera...