Chapitre 10 - 5

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- Teresa ? Teresa ?

C'était la voix de Stella. Teresa ne parvenait pas à savoir d'où elle venait. Les sons n'étaient qu'un magma à peine intelligible qui atteignait avec difficulté son cerveau. Elle n'avait pas bougé depuis que l'homme avait quitté la pièce. Elle ne pouvait pas. Elle se sentait sale, trahie, bonne à jeter. La conscience même de son corps entier la remplissait d'un dégoût dépassant l'entendement. Dans sa tête, les mots n'avaient pas cessé de tourner en boucle et si elle ne ressentait rien, elle avait pourtant vomi dans un coin de la pièce plusieurs fois malgré son estomac vide. Elle avait encore des hauts de cœur.

- Teresa ? Je suis... Je suis dans la pièce d'à côté. Réponds, je t'en pries... Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

Mais Teresa ne pouvait pas répondre. Elle était roulée en boule, nue contre un mur, transie jusqu'à l'os. Si elle ne dormait pas - et elle ne pourra plus dormir pour de longues nuits après cela - ses yeux étaient clos. Il s'écoula un très long moment avant qu'elle ne les ouvre.

- J'te jure, (elle pleurait désormais) j'te jure que je vais le tuer. Il a buté Olivier, il va payer, je m'en fais la promesse. Je le jure. Devant Dieu, putain.

Drôle d'idée que de jurer devant Dieu de tuer quelqu'un, qui que ce fut. Elle se perdait encore en déblatérations furieuses et lacérées de sanglots déchirants mais Teresa n'entendait qu'à peine et ne comprenait pas. Du moment où elle cessa de parler, il s'écoula un grand laps de temps ; peut-être plusieurs heures. Le temps ne passait plus de la même manière qu'à l'accoutumée. Il s'étirait, se dilatait, perdait de sa consistance puis n'était plus qu'une forme vague sans volume ni contours qui flottait partout autour de la jeune fille immobile.

Et puis il y eut des cris. Des cris terribles, ceux de Stella, derrière le mur de gauche. C'étaient de cris d'agonie, des cris de torture, qui lui glacèrent le sang jusqu'à la moelle. Elle ressentit soudainement tout le froid du sol, de la pièce, et se mit à trembler. Sur ses jambes hésitantes, ce fut elle qui alla se plaquer contre la parois glacée et à hurler le nom de son amie, comme si cela changeait quoi que ce soit. Elle crevait de faim ; elle crevait de peur.

Il se passa plusieurs affreuses journées et d'autres affreuses nuits dans un attente insupportable. Depuis le cri de détresse de Stella, elle ne fit plus entendre sa voix, même lorsque Teresa l'appelait doucement par son nom ou grattait le mur pour la faire réagir.

Le point négatif (comme si c'était le seul) était la température. L'homme devait les retenir dans un sous-sol où il ne faisait pas plus de cinq degrés - or, elle était nue. Après la terrible épreuve de l'attente, durant laquelle le corps de la jeune femme s'habitua au froid jusqu'à le rendre rigide, que Stella ne donnait plus de signe de vie et que l'homme ne revenait pas leur apporter de l'eau ; même pas pour une immonde partie de jambes en l'air, Teresa se mit en tête qu'il avait décidé de la laisser mourir sans se donner trop de peine. Elle se mit aussi à penser que le silence de Stella signifiait sa mort. Elle n'avait plus de larmes pour la pleurer. Son corps meurtris, sali, lui donnait envie de s'arracher la peau avec les ongles. Son bourreau s'était amusé d'elle.

Elle décida, dans un dernier éclair désespéré, de tenter d'ouvrir la porte. Ça n'était pas même une lourde porte, un simple empilement de lattes de bois. L'homme savait ce qu'il faisait ; si elles s'amusaient à sortir, il les tuera. Désormais, Teresa n'avait plus peur de la mort. Ses deux amis y étaient passés et cela ne servait à rien d'attendre, les bras ballants. Elle poussa doucement la porte. Rien ne se passa. Elle poussa une deuxième fois, rassemblant ses maigres forces, et à son immense étonnement, la porte céda.

Dehors, un couloir minuscule avec un escalier en bois qui montait sur la droite. Après une éternité immobile, choquée par sa propre chance et rebutée par les températures encore plus froides du couloir, elle se décida à aller voir à gauche, d'où était venu les cris de Stella. Une porte était ouverte et il n'y avait personne. Seule au monde, mise à nu, Teresa ne s'autorisa pas dix petites secondes d'appitoiement sur son sort et elle monta à l'étage.

En haut, elle reconnaissait. C'était le même intérieur mal décoré, la même luminosité tamisée du désert : c'était le crépuscule. La pièce dans laquelle elle débarqua était visiblement le bureau personnel de son bourreau. Celui-là même qui l'avait frappé, violé, brûlé avec ses cigarettes, torturé, ronflait la tête posée sur le plan de travail. En vue du décor autour de lui, il avait trop forcé sur la dose. Si Teresa reste interdite un moment, elle se ressaisit bien vite et passa à l'action.

Tout se déroula en un éclair. Elle débrancha la prise de la lampe de bureau en tirant dessus, et l'instant d'après le crâne de l'homme reposait ici, explosé sur le bureau. Sonnée, fixant ce mélange de sang et de cervelle touillé comme une soupe de lasagne à peine mis au four, elle fit plusieurs pas en arrière et dut s'asseoir. Elle regarda ses mains et y vit du sang. Puis, comme pour faire bonne mesure, elle s'essuya les mains entre ses seins et cracha sur le cadavre.

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Je reviens après des millénaires de retard et d'absence hehehe
un petit chapitre sympatoche rien que pour vous mes enfants.

Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant