Chapitre 7 - 3

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Elles arrivèrent au hangar un peu avant minuit. Teresa avait du mal à tenir éveillé et faisait un effort pour s'agiter et regrouper ses affaires à la même vitesse que Stella, qui virvoletait d'un côté à l'autre de la pièce en remplissant sa valise d'habits chauds, ("Il fait froid à New-York, habille-toi.") d'affaires de toilette et d'autres bibelots qui s'avèreraient utiles une fois sur le continent américain.

- J'ai regardé les vols qui partent en direction de New-York. Le prochain est à quatre heures trente-deux, vu qu'on a raté celui de minuit treize.

- D'accord, répondit Teresa avec un temps de retard.

Dans leur précipitation, elles se retrouvèrent assises dans une ambiance d'agitation générale pendant une heure interminable à siroter du café qui ne parvenait pas à réveiller Teresa, la tête appuyée sur son poing, témoignant de son épuisement. Stella grattait le bois de la table avec son ongle.

- T'es sûre tu veux pas prendre quelque chose pour te réveiller ?

- Je bois du café, qu'est-ce que je peux faire de plus ?

La jeune fille se leva sans répondre et partit chercher quelque chose dans le placard de la commode. Elle lança un petit sachet rempli de poudre sur la table et retourna s'asseoir, toujours sans un mot. Teresa lui lança un regard vide. "Quoi ?" Stella eut un mouvement de menton vers le sachet. "C'est pour toi."

Teresa le prit entre ses doigts.

- C'est ce que je crois que c'est ?

- C'est tout ce que j'ai pour te réveiller.

- Pourquoi c'est aussi important que je sois réveillée ? dit-elle. Répéter le mot "réveillé" lui faisait prendre un sens tout particulier, plus obscure, échappant à sa compréhension. Tu me dis même pas à quoi ça rime, tout ce bordel.

Stella hésita, le regard divaguant vers un point du mur à côté de la tête de son amie.

- Eh bien, tu te souviens de la transaction dont j'avais parlé, au port à conteneurs ?

Il y eut un silence choqué. Enfin, choqué n'est peut-être pas le terme exact. Interloquée, Teresa regarda le sachet, puis sa colocataire, puis de nouveau la sachet, jusqu'à en avoir l'air stupide.

- Non, dit-elle. T'as pas...

- Si.

Quelque chose dans ses yeux hurlait à Teresa que ça ne s'était pas bien déroulé. Si elle lisait un mot sur le visage de Stella, c'était celui-ci : danger. Elle se décida à se tracer une ligne, les mains un peu tremblantes d'anticipation. Elle se sentit tout de suite mieux. Peu à peu, son esprit s'éclaira et les effets des opiacés s'estompaient pour ne laisser place qu'à une clarté sublime. À la fin de la deuxième ligne, elle se sentait femme neuve. Stella continuait sur sa lancée.

- Ça s'est mal passé. Enfin, mal est peut-être un terme un peu fort, j'ai pas réussi à intercepter la drogue. Ils étaient beaucoup, beaucoup plus que ce à quoi je m'attendais, et bougrement bien organisés. Ils savaient parfaitement ce qu'ils faisaient. Enfin, moi on m'avait dit que c'était des types qui remplaçaient le mec, cet espèce de baron avec les serfs à son service, des larons, qui savaient pas bien s'y prendre, et au final...

- Ils t'ont vus, c'est ça ?

Stella se mordit la lèvre, sur le point de répondre, quand on frappa à la porte. Toutes deux se figèrent. Le premier réflexe de Teresa fut de planquer la drogue avec des gestes vifs, et à peine eut-elle le temps de ranger le sachet dans la commode que Stella était en train d'ouvrir la porte, une batte de base-ball (d'où sortait-elle ça ?) à la main, pour instantanément reculer, le visage blême comme si elle allait s'évanouir, et des types entrèrent à sa suite, collant un pistolet automatique contre son front. Teresa n'esquissa pas un geste. Son cerveau marchait à toute vitesse, mais elle se rendit à l'évidence terrible : elle ne pouvait rien faire. Elle n'avait pas d'arme, et si elle espérait pouvoir compter sur l'effet de surprise, les quatre types qui suivirent le premier la firent ravaler ses idées.

Le premier était un homme au visage dur, incontestablement beau, un black assez grand habillé de noir d'une manière qui lui allait à la perfection et lui donnait l'allure d'un ange à qui on aurait demandé de travailler comme croque-mort. Les autres étaient grands, encore plus grands que lui, et habillés comme des personnes banales qu'on croisait dans la rue tous les jours. Il y avait une femme dans le lot. Entre trente et quarante ans, elle était bien plus grande que les deux filles et d'une beauté sauvage presque terrifiante. Quand elle enleva ses lunettes de soleil, Teresa remarqua que ses yeux avaient une lueur étrange. Celui de droite était bleu/gris et l'autre d'un marron très pur. Lorsque la femme vit que Stella n'était pas seule, elle détailla la jeune fille de haut en bas d'une manière dérangeante. En plus de la peur qu'elle contenait avec brio, Teresa se sentit mise à nu, comme si cette femme-oiseau (car c'est ce à quoi elle faisait penser avec son long manteau en tweed qui flottait d'une manière presque surnaturelle autour d'elle) pouvait lire dans ses pensées.

Ce fut le black qui prit la parole.

- Eh bien eh bien, Stella Gallatin. Nous t'avons finalement retrouvé.

Il lui prit lentement la batte des mains. Stella, visiblement terrifiée, ne fit pas un geste pour se défendre, toujours en joue. La femme avait braqué une autre arme sur Teresa et cette dernière restait très immobile, les mains le long de corps mais les paumes tournées vers l'extérieur, pour bien montrer qu'elle ne tentait rien.

- Et elle n'est pas toute seule, en plus, fit la femme d'une voix grave, étonnamment profonde, qui attestait de longues années de tabagisme.

Ce fut à cet instant que les quatre hommes prirent conscience de la présence de Teresa. Ils l'observèrent avec un intérêt restreint. Tous avaient le visage fermé et menaçant. La jeune fille fut tout à coup très reconnaissante d'être si peu défoncée. La femme s'approcha d'elle de sa démarche féline et enleva son manteau qu'elle posa sur une chaise avec négligeance.

- Comment tu t'appelles, mon chou ?

- Teresa.

- Eh bien Teresa, répéta-t-elle, je suis sûre que tu vas passer un agréable moment en notre compagnie. (son regard se posa sur les valises prêtes dans un coin de la pièce) Oh, mais vous vous apprêtiez à partir ? Je suis désolée de gâcher la fête...

Teresa prit bien gare à ne pas faire de commentaire désobligeant, mais ce n'était pas l'envie qui manquait. Elle sentait la rage montante, qui se dupliqua lorsque le black enleva la sécurité de son arme avec un cliquetis discret. Elle vit la sourdine briller. Elle se dit brutalement qu'elles allaient y passer ce soir.

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Boum, PAN, action !

Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant