Chapitre 5 - 4

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Teresa était plongée dans la lecture d'un Tolstoï qu'elle avait emprunté à Olivier, affalée dans un pouf du hangar, quand on vint frapper deux coups timides à la porte d'entrée. Stella releva la tête de ses comptes - elle tenait à les faire elle-même mais finissait toujours par demander à Teresa de vérifier ses calculs - avec une mine surprise.

- Qui c'est ? On attend quelqu'un ?

Teresa haussa les épaules et se dirigea vers la fenêtre pour jeter un coup d'œil discret dans la rue.

- C'est un client ?

C'était Tim, épaules voûtées, l'air vulnérable, pas à l'aise. Il était emmitouflé dans une large écharpe et abordait un tee-shirt Slipknot d'un autre temps. Teresa s'empressa de le faire entrer.

- Reste pas au froid, rentre.

- Merci.

Il était visiblement gêné, observait autour de lui comme un taulard lors de son premier jour.

- Alors, c'est là que tu vis ?

- Ouais. Tu aimes ?

Il ne répondit pas. Stella et Olivier n'avaient pas bougé de leur place pour daigner le saluer et lui firent un vague signe de la main à-travers la pièce. Tim rougissait comme un enfant. Teresa sourit comme pour le rassurer.

- T'inquiète, ils sont cools. Comment t'as sû où j'habitais ?

- Tu m'avais dit ton adresse y'a trois semaines.

C'est vrai, sa mémoire exceptionnelle. Teresa avait tendance à oublier, preuve de son infériorité dans le domaine. Elle nota le malaise de Tim dans cet environnement peu habituel et s'empressa de le questionner.

- Qu'est-ce qui t'amène ?

- Heu, je me demandais si tu voulais m'accompagner à la fac. Même si c'est pas dans tes projets ni rien, je me disais que ça aurait pu te faire passer le temps si... Enfin, si t'avais rien à faire.

Teresa prenait un malin plaisir à le voir se prendre les pieds dans ses explications et croisa les bras sur sa poitrine. Un petit silence. Elle sourit.

- T'inquiètes, je t'accompagne. C'est loin ?

- Non, non, trois quatre arrêts de métro.

Ils assistèrent à la réunion explicative de l'année de PACES. Un défilé de mecs en costard qui prenaient un air supérieur en effrayant des petits terminales déjà submergés par les révisions du bac dans quelques semaines. Teresa avait emmené son Tolstoï histoire de rentabiliser le temps qu'elle prévoyait de passer à s'ennuyer, mais au final elle suivit avec beaucoup d'intérêt les dires des professeurs. Un élève redoublant - un "carré" - était venu raconter son point de vue avec beaucoup d'humour.

- Franchement, laissez-moi vous dire que c'est la mort. Et encore, même la mort ça ressemble à des vacances au soleil à côté de la tonne de travail que vous avez. Bon, moi j'ai pas eu la décence (le talent) de passer à l'examen final, mais cette année rien que pour venir vous tenir ce petit discours de dissuasion j'ai dû dire adieu à toute une matinée de révision. Ça veut dire que la chance que vous avez de m'avoir devant vous va se traduire par deux heures de sommeil de moins par nuit pour la prochaine semaine. Merci les gars.

Quelques rires dans les rangs.

- Je sais ce que vous vous dites tous. Vous pensez être spéciaux, vous vous dites que vous avez eu 19 de moyenne en spé SVT au lycée et que vous allez partir avec de l'avance ? Que nenni chers camarades. On est tous dans la même merde. (Regard noir d'un professeur ) Pardon, dans la même galère. C'est un euphémisme.

La réunion continua pendant une bonne heure encore puis il fut temps de visiter les locaux. Il y avait un campus universitaire, des chambres d'étudiant, une cafétéria, un joli parc extérieur. Tim semblait ravi et avait l'air d'oublier le temps d'un instant ses rêves de dessin industriel. Après la réunion, ils s'achetèrent un sandwich et s'installèrent au bord de la fontaine du campus pour un peu de calme. Tim emprunta une cigarette à Teresa, fait rare et remarquable. Ils fumèrent en silence, certainement en pleine contemplation des opportunités qui s'offraient à eux.

- Alors, tu veux toujours quitter le lycée ?

Elle se rendait bien compte de la fierté qu'il tirera de sa réponse mais la donna quand même.

- Je sais pas. Ça a l'air bien l'université, quand même.

Le soir-même, Olivier et Stella exprimèrent leur point de vue avec vélocité.

- Personnellement j'étais pas faite pour les études, mais genre pas - du - tout, dit Stella à voix forte.

Ils avaient un peu bu, avaient fini les comptes et se tapaient un petit trip de récompense. Olivier, qui était resté parfaitement silencieux depuis plusieurs heures, se releva sur ses coudes avec un air fatigué sur le visage.

- C'est cool, la médecine, ouais. Il parait que c'est le bagne, la première année. Prépare-toi à pas pioncer.

- J'ai pas dit que j'y allais.

- Vu comment t'en parles, pourtant... ironisa Stella avec un sourire plaqué aux lèvres.

Teresa ne releva pas son sarcasme et fit passer le joint à Olivier qui s'amusa à former des ronds parfaits avec la fumée. C'était une soirée tranquille, ils se sentaient bien, l'harmonie résonnait dans le hangar comme un accord parfait à la fin d'une sérénade. Mais Stella n'avait pas encore laissé tomber la conversation.

- Elle finit quand, l'année de cours ?

Teresa fit un rapide calcul.

- Fin mai, après on a le bac et c'est fini.

- Dans pas longtemps quoi. Mais t'as pas été obligée de rentrer des vœux d'orientation quelque part ?

- Si. J'ai mis quelques trucs, on m'a accepté. C'est à moi de choisir maintenant. Je pense que je vais tenter les études quand même. Je vais voir. Si j'ai les bourses j'irai. Au moins j'essayerai. Mais je continuerai à bosser avec vous quand même.

Depuis quelques temps, Teresa participait intensivement aux activités de Stella et Olivier. Tous les soirs ou presque, elle dirigeait ses propres ventes dans les quartiers de la ville qu'elle connaissait bien, surtout là où elle a grandi. Parfois elle y allait avec Gautier. Parfois elle vendait à Georges ou ses potes, aux jumeaux, un peu de coke à leur père. C'était son revenu. Stella lui donnait quinze pour cent des recettes totales comme elle n'en était qu'à son début. Mais c'était de l'argent facile, en vérité. Il était chose aisée de se glisser derrière les buildings à onze heures du soir, à faire passer quelques cachets en échange de quelques billets. Elle vendait un peu au lycée, aussi. Majoritairement de la coke et quelques hallucinogènes. Elle avait un ou deux clients qui carburaient à de la dope plus forte, notamment un type de première qui prenait la même merde qu'elle. Ils avaient pris l'habitude de se défoncer ensemble le mercredi après-midi. Il payait ses doses - ses parents étaient pleins aux as et il se shootait pour le fun, du moins c'est ce qu'il disait. Teresa était presque certaine qu'au fond il y avait autre chose, un stress post-traumatique sous-jacent, une peur, une angoisse. On ne tombait pas dans les opiacés par aversion de la tutelle paternelle. Teresa en savait long. Ça aurait été ça ou l'héroïne, mais l'expérience de sa mère lui avait ôté toute envie de s'injecter quoi que ce soit dans les veines. Et puis Paul était sympa. Les trips silencieux qu'ils se faisaient chez lui étaient cools, lui faisaient changer un peu d'air. Elle l'aimait bien, Paul. Et puis il ne la jugeait pas.

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Moi, publier avec régularité ? Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant