Chapitre 10 - 2

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Le jeune merle chantait. De là où elle était assise, Teresa ne voyait que cela : l'oiseau sautillant d'une patte sur l'autre en pépillant de sa petite voix aiguë. Il charmait certainement une femelle hors de la vue de la jeune fille. Son chant était ténu, presque imperceptible, et pourtant elle le percevait. Elle ne pouvait en détacher les yeux. C'était la seule chose à laquelle elle était sensible. Doucement, elle bougea un doigt, sentant que sa main s'endormait.

Sa distraction lui fut punie par une claque retentissante, qui ressemblait à s'en méprendre pour un coup de poing. Son nez se mit à saigner et elle sentit ses yeux commencer à pleurer. Putain, c'était douloureux. Le grand type noir le fixait de toute sa hauteur et envoya un coup de poing dans la chaise où elle était attachée.

- Eh, tu écoutes ou pas ? Pas regarder dehors. Personne viendra.

Elle sentait son esprit dériver. Elle tenta de se frotter le visage pour se réveiller mais ses poignets étaient entravés par des liens serrés. Tandis que sa vision devenait plus précise, une voix s'éleva à sa droite.

- Tu vas nous faire quoi, sale fils de pute ?

C'était Stella ; elle connaissait et reconnaissait cette voix. Elle tourna la tête. Stella avait les yeux injectés de sang, le visage blême. Elle était attachée sur une chaise semblable à la sienne, à quelques mètres de là. Olivier. Où était-il ? Lentement, Teresa cligna des yeux. Elle goûta sa langue avec application : elle était endormie. Elle ne pouvait pas parler.

Il y eut un bruit sourd sur sa droite. Stella envoyait des coups de pieds dans le vide avec rage. Elle hurlait beaucoup et Teresa peinait à comprendre ce qu'elle disait. Elle voulut la prévenir, mais le coup était déjà parti. L'homme lui avait foutu un pin qui la sonna pour quelques instants et eut au moins le mérite de la faire taire. De son esprit anesthésié, Teresa sonda le gars en face d'elle. La trentaine bien entamée, les cheveux rasés courts et très noirs ; la peau presque aussi sombre et des yeux bleus vifs à la lueur étrange sur laquelle la jeune fille ne sut mettre de mots. Ses traits lourds et ses débuts de bajoues la rebutèrent. Il empestait l'eau de Cologne bon marché. Ses manches retroussées laissaient apparaître des tatouages à l'encre bleue.

- Tais toi ! Taisez-vous deux !

Son français était mauvais, pourtant Teresa était certaine qu'il n'était pas américain. Elle sentit sa tête basculer vers l'arrière et juste avant que l'arrière de son crâne ne claque contre le mur elle réalisa quelque chose : elle ne savait pas où elle était. La situation lui en rappelait une très similaire, celle qui s'était déroulée au hangar. Elle ne reconnaissait rien autour d'elle. C'était une salle nue composée en salon rudimentaire ; des meubles vieillots, de la tapisserie blanc cassé sale, des bibelots sans intérêts sur les commodes. On toussa à sa droite. Avec grande difficulté, elle tourna la tête. Elle avait un poignard plantés derrière chaque œil.

- Merde, où...

Olivier. Il se prit presque instantanément un coup dans les jambes. Il se scilla pas, après tout il ne les sentait pas. Parfois il leur disait qu'elles lui faisaient mal alors que les nerfs étaient morts. Comme le syndrome du membre fantôme. Teresa ne parvenait pas à se concentrer. Le Black envoya un autre coup dans la tempe de son ami et il eut un grognement sourd. Comment avaient-ils atterri ici ? Par la fenêtre, on voyait un champ nu et brun à perte de vue, presque comme un désert de promesses avortées. Il n'y avait personne à la ronde. Teresa sentait la présence d'une autre fenêtre derrière elle, mais elle n'avait pas la force de se tourner pour voir d'où venait la luminosité qui illuminait le côté droit de son visage. Ses muscles étaient ankylosés. Elle comprit alors - cela la frappa brusquement et avec violence - qu'elle avait été droguée. Elle ne se souvenait de rien. Si : il y avait eu la soirée au bar, le coup de téléphone, et puis... Et puis un voile noir impersonnel et silencieux.

L'homme qui leur faisait face ne semblait pas très patient. Il se campait sur une jambe et puis sur l'autre, de la même manière que le merle à la fenêtre mais avec un peu moins de grâce et certainement pas les mêmes intentions. Il parlait d'une voix grave avec un accent tranchant et obscure.

- Bon, vous réveillez. Ça va être très simple. Vous êtes au milieu de rien, rien du tout. Alors vous pouvez crier autant que vous voulez. Personne est là pour vous entendre. Pas de secours. Vous savez ce que je veux.

Olivier eut un reniflement.

- Vous pourriez peut-être nous le dire, on rêve d'en savoir plus.

Le coup que l'homme lui porta fut si violent qu'il l'assomma instantanément. Stella étouffa un cri. Peu à peu, Teresa se sentit alerte et mieux réveillée. Avec son cerveau en panne sèche, elle tenta de réfléchir. Le chant du merle résonnait dans sa tête et l'empêchait de penser comme elle l'aurait voulu. L'homme leur tournait autour. Ce fut seulement à cet instant qu'elle réalisa qu'il tenait un pistolet, avec lequel il avait cogné Olivier.

- Vous avez tué deux membres de chez nous. Comme vous dites chez vous, œil pour œil, dent pour dent. Je suis là pour rétablir justice.

Tout se passa très vite. Il y eut un éclair dans ses yeux et il pointa le flingue sur la tête d'Olivier puis de Stella.

- D'abord lui, et puis toi. Toi, dit-il en fixant son regard terrifiant sur Teresa, tu as sursis. Ton jour de chance, hein. Tu vas rester encore un peu avec moi et puis ce sera ton tour. Le boss a dit de parler avec toi.

Il baissa son bras. Teresa eut un hoquet en le voyant empoigner les cheveux d'Olivier, qui ouvrit brusquement les yeux et se mit à trembler dans son fauteuil.

- Le petit salopard d'handicapé. T'as les mains plein de sang, pas vrai ? Tu payes ta connerie. Ici.

Il tira sa tête en arrière et lui tira une balle en plein entre les deux yeux. La détonnation fut comme un chant funèbre aux oreilles de Teresa. Le sang gicla instantanément et à grands jets. Elle ne s'était même pas rendue compte qu'elle s'était mise à hurler. À sa droite, Stella hurlait aussi. L'homme se retourna.

- FERMEZ-LA !

Teresa obtempéra. Le visage d'Olivier, rejeté sur le côté, reposait tranquillement sur son épaule. Il n'avait plus de visage, en fait. Plus de traits, rien qu'une bouillie sanglante et des yeux révulsés, blancs, la mâchoire pendante. Stella mit plus de temps à se taire, et lorsque son cri cessa elle se mit à pleurer. Teresa se rendit compte qu'elle pleurait aussi, et ne put détacher son regard du visage d'Olivier. Il était mort.

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Dsl pour tout
Le chapitre suivant est un peu plus court car particulièrement rude. Sorry again. Trigger warning, âmes sensibles s'abstenir. Vraiment. Je rigole pas les gars.

Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant