Ils les avaient attaché à des chaises et les avaient mises dos au mur du hangar. Stella et Teresa étaient pétrifiées de peur. Teresa, l'esprit courant à cent à l'heure, réfléchissait avec toutes ses capacités pour trouver une issue à cette situation critique. Que pouvaient-elles faire ? Les cinq malfrats étaient en face d'eux, sirotaient leur café d'un air tranquille. La femme oiseau fumait à grandes bouffées volontaires, appuyée contre l'autre mur, surplombant les deux jeunes filles de toute sa hauteur. Le chef de bande, le black en habits d'enterrements (il avait même un putain de parapluie noir qu'il avait accroché au dossier de sa chaise) les détaillait tranquillement du regard. S'il n'avait pas eu son arme à la main, il n'aurait pas eu l'air menaçant. Après un temps de réflexion, Teresa se dit que peut-être, ils les laisseraient en vie, et puis la raison l'emporta. Elles allaient crever.
Ce fut Stella qui prit la parole, la voix tremblante. Elle ne gèrait pas bien sa peur, contrairement à la jeune noire qui gardait la tête bien haute. Du bluff. Rien que ça.
- Qu'est-ce que vous nous voulez ?
- Tu sais très bien ce qu'on te veux à toi. Teresa, ce sera, eh bien... (l'homme sembla chercher ses mots) un dommage collatéral. Tu n'aurais certainement pas dû aller la chercher. Oui, on est au courant pour ça aussi.
Comment, Teresa ne jugea pas nécessaire de le demander. En toute logique, elles avaient été surveillées. S'ils n'avaient pas descendu Stella sur place dès qu'ils l'avaient vus, ils avaient envoyé quelqu'un derrière elle. Teresa avala sa salive avec difficulté.
- Quelle erreur de venir tenter d'intercepter la cargaison au port, quelle erreur funeste...
Il avait dans la voix quelque chose d'honnêtement peiné. Teresa aurait préféré tomber sur un type au sang chaud, hurlant, les menaçant de son poing, plutôt qu'un homme tempéré et aussi calme. Très vite, elle se rendit compte qu'elle était terrifiée par ce mec. Il était cultivé et droit, menaçant d'une toute autre manière bien plus subtile. Ouais, elle avait peur de lui, mais elle avait encore plus peur de la femme oiseau qui la dépeçait de son regard dérangeant.
- Je vois pas du tout de quoi vous parlez, tenta Stella. Non, vraiment, dit-elle en réponse au sourire du malfaiteur, vous devez faire erreur. Je sais pas de quelle cargaison vous parlez.
Son sourire ne fit que s'étirer. Il se leva et Stella se raidit. Teresa crut que son amie allait se pisser dessus. L'homme posa la crosse de son arme contre le front de la jeune fille.
- Peut-être que ton amie est plus raisonnable. Teresa, tu étais dans le coup, toi aussi ? Tu n'étais pas à l'entrepôt. Mais si tu es ici aujourd'hui, tu étais forcément au courant.
Teresa ne répondit pas, sans le quitter des yeux. Si elle croisait le regard de Stella, elle allait elle aussi paniquer, alors elle continuaient de fixer les pupilles sombres de l'homme sans rien dire.
- Tu as perdu ta langue ? demanda la femme oiseau sur un ton joueur
- Non.
- Si tu ne veux pas parler, (elle sortit un petit couteau de sa poche. Il étincela à la lueur du plafonnier) on peut t'aider...
-Non, dit l'homme, une main griffant l'air. Nous sommes ici pour discuter. Nous sommes raisonnables, bien sûr. Il n'y aura pas de sang versé. (son visage était dur et froid, mais quand il se mit à sourire, il était terrifiant) Si vous coopérez, en tout cas.
Stella eut un petit glapissement d'animal effrayé.
- Tu as peur ? Il n'y a aucune raison d'avoir peur. Tu as juste à parler. Que voulais-tu faire, intercepter la drogue ? Tu pensais pouvoir rouler le boss ?
Teresa décida d'intervenir, comme Stella s'était mise à trembler de manière incontrôlable.
- Qui êtes-vous ? Vous travaillez pour ce type ?
- Je m'appelle Steve, c'est tout ce que tu as à savoir. Mon bras droit, Eva, et moi-même, travaillons pour le "type" dont tu parles. Quel âge as-tu, Teresa ? Tu me sembles avoir la tête plus froide que ta camarade.
Teresa fut décontenancée par son brusque changement de sujet. Il lui parlait comme le faisait son conseiller d'orientation : un ton professionnel et amical.
- Hum, dix-huit ans.
- Parlons entre adultes responsables, alors. Étais-tu au courant des agissements de mademoiselle Gallatin ?
Teresa prit le temps de réfléchir. Elle n'avait pas d'intérêts à défendre et, bien qu'elle soit furieuse que Stella l'ai embarqué dans cette histoire, elle n'allait pas la laisser seule dans sa merde. Restait à voir si elle jouait franc jeu ou si elle continuait de bluffer à la manière de la plus jeune. Visiblement, ces types savaient parfaitement à qui ils avaient affaire. Ils s'étaient renseignés. Ils avaient trouvé où elles habitaient, alors que leurs noms ne figuraient sur aucun papier. Elle décida d'être honnête. Avec un peu de chance, elles s'en sortiront avec quelques commotions, et au pire elles y laisseront leur peau. Il n'y avait aucune autre issue possible.
- Oui, bien sûr. J'étais au courant de tout.
- Mais tu n'étais pas avec elle ce soir-là. Où étais-tu ?
Elle était chez Barthélémy. Elle tourna sept fois la langue dans sa bouche avant de répondre.
- J'étais au cinéma.
- Non, dit l'homme après un temps d'arrêt, apparemment déstabilisé très brièvement par son mensonge. Tu n'y étais pas.
- Je ne vois pas l'intérêt d'impliquer des innocents dans cette histoire.
L'homme soupira, tira une chaise et vint s'asseoir près d'elles, à l'envers sur l'assise, les bras croisés sur le dossier.
-Non, en effet, tu as raison. Nous ne sommes pas des malfrats. Nous ne voulons pas d'effusion de sang.
Ça aussi, c'était un mensonge, mais ni Stella ni Teresa ne trouvèrent quelque chose à redire. La femme oiseau s'approcha.
- Tu croyais vraiment que le boss enverrait trois malheureux ouvriers récupérer la cargaison ? Je ne pense pas que tu saches à qui t'as affaire.
Leur ton professionnel était plus effrayant que si elle hurlait des insultes en russe en agitant les bras ou en les menaçant d'une hache. De nouveau, Teresa déglutit avec difficulté. Si ils avaient donné leurs noms sans plus d'hésitation, ils savaient qu'elles n'iraient pas les dénoncer car elles avaient elle-même des choses qu'elles ne voulaient pas que la police découvre. Cependant, un appel anonyme...
- Ah, les filles, fit Steve d'un ton réellement peiné, comme s'il avait lu dans ses pensées. Si vous pensez que vous allez vous en tirer... Un appel anonyme est si aisé, de nos jours. Tu m'as l'air de quelqu'un d'intelligent, Teresa. Tu as dû y penser.
Elle ne dit rien. Pour la première fois, elle baissa les yeux. Eva approcha aussi. Les autres types restaient derrière. L'un d'eux parlait dans une langue slave au téléphone, dans un coin du hangar.
- Désolée, les filles, mais il va falloir qu'on vous apprenne le respect, malheureusement. Non pas que je m'en fasse un vilain plaisir. Je déteste qu'on fouille dans mes affaires sans me demander.
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Bouh
Alors, quelqu'un a une idée de comment elles vont s'en tirer ? Si elles s'en tirent, mouahahah.
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Les anges meurent aux balcons
General FictionÀ dix-sept ans, Teresa habite dans une cité mal famée en compagnie de sa mère héroïnomane et de son génie de petit frère. La dureté de sa condition ne lui fait pas croire à un avenir radieux mais elle n'imaginait pas que ses fréquentations la mènera...