Paul, apparition surnaturelle oréolée de la lumière de l'intérieur, la pressa dans la maison après l'avoir brièvement serré dans ses bras. Teresa n'était pas certaine de ce qui se passait, et si elle avait été plus sobre elle aurait trouvé un moyen de partir directement après avoir empoché l'argent ; en l'occurence elle se laissa emporter par le bras conquérent de son ami sous le sien, qui lui fourra un verre dans la main et entreprit de la présenter à toutes les personnes présentes.
- Heu, mais c'est pas chez toi ici, non ?
- Non, non, dit-il en riant. C'est chez mon meilleur ami. Je squatte cette maison depuis que je suis tout petit. C'est lui, là-bas, regarde. Clark !
Le dénommé Clark était un type immense, l'air camé jusqu'aux dents, armé d'un sourire pourtant éclatant et dévastateur. La musique était si forte que Teresa avait du mal à comprendre ce qu'il lui disait, les cheveux plaqués sur les tempes, la démarche lourde, une main sur l'épaule de son ami.
- C'est le dealer ?
- Allons, mec, c'est une amie, elle peut bien rester un peu, hein ? Je t'en ai parlé, Teresa.
- Oh, oui, a-t-il dit, comme soudain atteint d'une illumination, se tournant vers elle. T'es la fille aux opiacés. La lesbienne.
Bien que désorientée et hors de son élément, Teresa trouva sa manière de parler fort déplaisante et lui accorda un regard froid. Elle ne prit pas la peine de répondre. Clark semblait trop perché pour s'en rendre compte. Il lui serra vaguement la main et s'enfuit la seconde d'après, hurlant contre la musique qui venait de se lancer. Paul dut se retenir à la table quelques secondes, hilare, le visage rouge et illuminé.
Ce fut une bien étrange soirée. Teresa n'avait pas pour but d'y rester, et pourtant à huit heures du matin le lendemain, elle n'était toujours pas partie. Elle observa avec beaucoup d'intérêt une partie de bière-pong, s'enfuit de l'autre côté de la maison pour passer quelques minutes dans les toilettes (vider son estomac, prendre sa ration nocturne de poudre) et quand elle en sortit, elle eut l'impression de marcher sur un parquet de nuages. Les personnes présentes lui semblaient si bienveillantes et si belles ! C'en était presque incroyable. Elle se promenait d'une pièce à l'autre en flottant à vingt centimètres au-dessus du sol, hallucinée et défoncée.
Elle passa quelques heures bienheureuses en compagnie de trois personnes dont elle oublia les noms et ils discutèrent du rôle de l'âme et de la place de l'Homme dans l'humanité en se faisant passer un joint du bout des doigts. Teresa les trouvait brillants. À un certain moment, Paul la retrouva pour lui dire deux mots en tête à tête et elle se dit qu'elle avait une chance incroyable d'avoir ce genre de personne présente dans sa vie. Lui, Stella et sa bonne humeur exemplaire, Olivier et sa conversation philosophique illuminée, son petit frère, les jumeaux, son ami Georges. Ils étaient tous un cadeau de Dieu. Teresa planait à dix milles. Elle se sentait bien et ne pensait plus à rien qu'à l'amour sans borne qu'elle portait à ses connaissances. Elle parla durant de longues minutes à une totale inconnue de son futur brillant dans le monde de la science, s'appuya à une table, une chaise, peut-être le dos d'un inconnu, et puis plus rien.
Quand elle ouvrit les yeux, elle ne reconnut pas l'endroit où elle se trouvait. La couleur des murs et l'agencement était différent de chez elle. Et puis elle se rappela que sa mère était morte et qu'elle était au hangar. En ouvrant les yeux plus grands, peu à peu habitués à la lumière, elle se rendit compte qu'elle n'était pas chez Stella et Olivier non plus.
Elle se redressa d'un bond pour retomber instantanément sur les draps, un mal de tête carabiné appuyant sur ses tempes. Elle mit du temps à analyser la situation et capta tout d'un coup qu'elle était dans le lit d'un inconnu, avec un inconnu. Elle se redressa à nouveau, avec un peu plus de détermination. C'était un garçon encore profondément endormi, l'air paisible. Teresa se pencha sur lui et identifia son visage. Au moins, elle le connaissait. Mais quand même, ce fut avec une certaine panique non dissimulée qu'elle sortit du lit pour s'enfuir le plus vite possible. À son grand désarrois, Paul se réveilla presque dans la seconde. Teresa s'arrêta au milieu de son mouvement et poussa un long soupir.
- Teresa, dit Paul d'une voix endormie.
Il se frottait les yeux à la manière d'un enfant ensommeillé. Teresa se sentait paniquer. Si elle avait couché avec lui... Elle ne s'en souvenait pas et elle ne voulait pas. Son esprit tournait à mille à l'heure, si vite qu'elle en avait presque les larmes aux yeux.
- Eh, ça va ? demanda-t-il très sérieusement.
Elle s'était mise à pleurer de grosses larmes silencieuses, les bras ballants au milieu de la chambre, et Paul sembla tout d'un coup parfaitement réveillé. Il se leva en parlant à voix basse.
- Eh, qu'est-ce qu'y a ? Assieds-toi, viens, viens là.
Il la prit par les épaules et tous deux s'installèrent sur le lit. Teresa pleurait de manière incontrôlée et il mit un long moment à lui arracher le sujet de ses tourments. Quand, enfin, il comprit, un air désolé et concerné s'inscrivit sur son visage.
- Bien sûr que non, on a pas couché ensemble. T'étais dans un état lamentable, je serai le dernier des enculés si j'en avais profité. Putain, Teresa, je suis ton ami, pas un putain de violeur !
Elle ne répondit pas, mais avait arrêté de pleurer. Dans la chambre, la lumière du soleil se déversait paisiblement sur les draps blancs et éclairait son visage d'une douce luminosité. Comment lui dire que la plupart des hommes qu'elle avait croisé ne raisonnaient pas comme lui ? Et surtout, pouvait-elle lui faire confiance sur ce point ? Elle livrait un combat intérieur contre elle-même pour essayer de démêler le vrai du faux, la paranoïa de la raison. Elle avait envie de le croire. Cependant, elle n'y arrivait pas.
Ils prirent un petit déjeuner silencieux. Ils avaient tous une gueule de bois conséquente, or le moindre bruit agressait leur cerveau douloureux. Ils sirotèrent leur café sans un mot. Paul et Clark échangeaient de drôles de regards amusés que Teresa ne savait identifier. Elle préféra cesser de leur accorder son attention. Le café ne passait pas, son ventre était noué.
Elle décida de rentrer le plus vite possible au hangar, dans l'optique de se vider la tête en marchant dans la rue. Il faisait froid et sa gueule de bois avait presque totalement disparu quand elle arriva à destination. À son grand étonnement, Olivier n'était nul par en vue. Stella se faisait grossièrement les ongles, assise avec les pieds sur la table. Lorsqu'elle vit Teresa arriver, elle leva des yeux ennuyés, lourdement soulignés de crayon noir, comme à son habitude.
- Oh, c'est toi. Olivier n'est pas avec toi ?
- Non, je croyais qu'il était ici.
- Ah bon, répondit-elle comme si cela résolvait toute la situation. Il a dû aller faire quelques courses. Tu vas bien ?
Teresa hocha la tête et partit se mettre au lit.
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J'aime Paul. Btw l'action débarque dans très peu de temps hehe.
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Les anges meurent aux balcons
Ficção GeralÀ dix-sept ans, Teresa habite dans une cité mal famée en compagnie de sa mère héroïnomane et de son génie de petit frère. La dureté de sa condition ne lui fait pas croire à un avenir radieux mais elle n'imaginait pas que ses fréquentations la mènera...