Teresa se décida à rappeler Hélène après trois journées à laisser son téléphone sonner dans le vide, inlassablement. Elle ne se sentait pas vraiment prête à la mettre au courant, mais elle n'eut pas le temps de se poser trop de questions. Hélène décrocha à la première sonnerie, d'une voix nasillarde et enrhumée.
- Teresa ? Tu vas bien ? Ça fait des semaines que j'essaie de te joindre !
- Ça fait cinq jours, pas plus, précisa Teresa de manière automatique.
- C'est déjà trop. T'étais où ? Je suis rentré chez moi, mes parents ont enfin accepté mon penchant pour la chatte.
Teresa l'entendit rire dans le combiner, apparemment fière de son langage cru. Plusieurs secondes s'écoulèrent, durant lesquelles Teresa fut incapable de prononcer un mot, saisie par l'émotions. La voix de sa bien aimée raisonna une fois de plus à l'autre bout du fil.
- Teresa ?
- Ma mère est morte.
Elle put entendre la respiration d'Hélène accélérer. Elle s'en voulut instantanément de balancer cette information sur le feu, sans préambule, même pas en face. Elle passa une main sur son visage, las, fatiguée. L'air matinal lui renvoyait dans le visage la fumée blanche qu'elle exhalait.
- Désolée, j'aurait pas dû te sortir ça comme ça. On pourrait se voir ?
- Non, t'excuse pas, s'il te plait. C'est moi, je sais même pas quoi répondre. Je suis vraiment désolée. Tu me manques à en crever. Tu veux venir chez moi ?
Miraculeusement, cette phrase arriva à faire rire Teresa de par l'absurdité de la proposition.
- La dernière fois que j'ai vu ton père il m'a chassé à coup de pied au cul de chez toi en me disant d'aller au diable.
- C'est vrai.
Un autre silence. Hélène reprit la parole. Elle le cachait plutôt bien, mais Teresa entendait dans sa voix des sanglots étouffés.
- On peut se voir maintenant ? Je t'invite manger une pizza en ville. Je passe te chercher en voiture. T'es où ?
- Chez Sam et Lionel. C'est près de la gare. Je peux t'y attendre.
- Je pars alors. J'invite.
Sa tentative de rester enjouée fit chaud au cœur endoloris de Teresa. Elle raccrocha et toqua à la porte de la chambre de Sam. Il était du genre à se lever tôt et ce fut sans surprise qu'il ouvrit presque instantanément la porte, déjà habillé et lavé.
- Je vais rejoindre Hélène en ville. Ça te dérange de rester avec Léo ce matin ?
- Bien sûr, pas de problème, dit-il comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle du monde. T'en fais pas, et passe lui le bonjour de ma part !
Elle sortit en direction de la gare où Hélène l'attendait déjà. Elle avait dû rouler terriblement vite pour arriver aussi tôt, mais Teresa ne le fit pas remarquer. En vérité, elle se contenta de fondre en larmes sur l'épaule de sa petite amie. Hélène releva son visage vers elle et l'embrassa longuement. Elles s'assirent quelques minutes sur la place passager de sa voiture dans une embrassade réciproque et silencieuse. C'était tout ce qui lui fallait : des bras réconfortants et l'amour d'Hélène.
Elles commandèrent une pizza en terrasse ainsi qu'une bouteille de vin rouge. Hélène avait bien meilleure mine que la dernière fois qu'elles s'étaient vues. Elle lui raconta avec joie sa réconciliation avec ses parents.
- C'est mon père qui m'a téléphoné un matin, le premier jour où tu étais partie chez Georges, en fait. J'étais vachement surprise, comme tu peux l'imaginer. Il s'est excusé une bonne demi-centaine de fois. Je crois qu'il en avait assez d'un fils indigne qui ne lui a pas adressé depuis deux ou trois ans pour recommencer la même chose avec sa fille. Il est passé me chercher, nous a invité au restau', Maman et moi, dans un restaurant hors de prix du centre ville. Il a voulu marquer le coup. Il m'a demandé de lui parler de toi. Il aurait vraiment aimé te rencontrer !
- Ça peut encore se faire, si tu veux.
- Oh, il en serait vraiment heureux ! Bien sûr, maintenant il se prend de mauvais regards de la part de certains autres prêtres mais il s'en fout. Il a accepté.
Elle prit une bouchée allègre de sa pizza au fromage. Teresa, elle, avait le ventre noué depuis la mort de sa mère. Elle se contentait de pianoter nerveusement sur la table. Elle sentait la conversation se tourner dans son sens et n'avait pas vraiment envie de raconter tout cela, même à Hélène.
- Et toi, alors ?
- Et bien, commença Teresa dans un demi-soupir. Léo et moi, on habite chez les jumeaux pour quelques temps. Ensuite, Léo sera placé en foyer le temps que Barthélémy fasse les démarches d'adoption.
- Et toi ?
- De quoi, moi ?
- T'es majeure lundi. Tu vas habiter où ?
Teresa tritura sa fourchette, laissa passer quelques secondes de silence. Elle passait ses journées à se poser la question.
- Je sais pas. Peut-être continuer le lycée, et bosser en même temps le soir, louer un petit appartement plus loin du centre. Et pour l'année prochaine j'en sais rien. C'est dur de se projeter.
Le double sens de ces derniers mots n'échappa pas à Hélène. Elle étendit son bras et serra la main de Teresa dans la sienne. Son sourire réchauffait les cœurs les plus glacés.
- Tu peux venir chez moi le temps de te trouver quelque chose de stable. Mes parents n'y verront aucun inconvénient. Et puis tu l'as fait pour moi, je peux le faire aussi. Ça me ferait plaisir d'habiter avec toi à nouveau.
Teresa ne répondit pas mais la remercia d'un regard. Les yeux d'Hélène glissèrent de son visage pour tomber sur son assiette.
- Hum... Tu vas la manger ?
- Quoi ? Oh, non, vas-y, répondit Teresa en riant.
Hélène se saisit de sa part de pizza avec joie tandis que la jeune fille terminait son verre d'une traite.
Elle voulut la présenter dès cet après-midi à ses parents, et elle semblait si heureuse à cette perspective que Teresa ne put le lui refuser. Son père lui faisait beaucoup moins peur maintenant qu'il faisait jour et qu'elle était entièrement habillée. En fait, c'était un homme très gentil. Il ne brillait clairement pas dans la démonstration des sentiments (et Teresa non plus) mais on lisait une vraie joie dans ses yeux de rencontrer celle qui faisait battre le cœur de son unique fille. L'aîné de la fratrie, le seul de deux garçons à être en bons termes avec ses parents, était descendu avec sa femme et son fils pour le week-end. Il avait la trentaine bien entamée et avait cet air éternellement jeune des hommes qui vivent de leur passion. Il était styliste pour un grand magazine de mode depuis maintenant huit ans. Sa femme était une jeune femme blonde d'une beauté éblouissante, avec un sourire publicitaire qui frôlait la perfection. C'était une actrice débutante qui en était encore dans les balbutiements de sa carrière qui, pour sûr, n'allait pas tarder à décoller.
Ils discutèrent toute l'après-midi ensemble et insistèrent pour qu'elle partage le dîner à leur table. Le père d'Hélène s'était sévèrement mis aux fourneaux et avait cuisiné une dinde fourrée avec une purée de courgette divine. Le frère d'Hélène était hilarant. Teresa l'apprécia dès la première seconde dans son style propre et droit et à la parole aussi tranchante qu'une lame de rasoir. Chaque fois qu'il ouvrait la bouche, Teresa pouffait en silence tant ses piques bien placées passaient totalement inaperçu au sein de la famille. À un moment du dîner, il demanda à son père de lui passer le vin et lança d'une voix innocente :
- Tu sais Papa, j'ai eu moi aussi une période d'expérience avec des garçons quand j'étais au lycée...
Son père s'étouffa avec sa dinde et tout le monde éclata de rire, même Hélène, et même Teresa.
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Les anges meurent aux balcons
Ficción GeneralÀ dix-sept ans, Teresa habite dans une cité mal famée en compagnie de sa mère héroïnomane et de son génie de petit frère. La dureté de sa condition ne lui fait pas croire à un avenir radieux mais elle n'imaginait pas que ses fréquentations la mènera...