Chapitre 9 - 1

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New York s'endormait à peine. La brume du soir tombait sur les buildings et obscurcisait encore un peu les rues déjà sombres. La nuit débarquait. Les étoiles ne pointaient pas, en ville ; pas plus ici qu'à Paris. On ne voyait qu'un grand ciel gris, puis bleu foncé, puis noir. Il faisait froid, c'était indéniable. Nous étions mi-novembre, désormais, et les températures descendaient fleurter avec le zéro.

Le gosse les mena à quelques rues de son église, en tête de groupe comme un leader-né, le menton en avant d'un air important. Il était amusant, avec ses manières d'enfant des rues. Teresa se dit que s'ils n'avaient jamais quitté leur quartier de naissance, Léo et elle auraient pu finir comme eux : sales, avec un chien en laisse à faire la manche aux touristes devant le Sacré-cœur. Ils faisaient un bien drôle de groupe, le gamin, Teresa, dans son sweat trop grand à l'effigie de Slipknot, marchant les yeux fixés au sol, Stella et ses longs dreads blonds babillant avec l'enfant et poussant le fauteuil d'Olivier (le teint gris, piquant du nez), et un autre jeune garçon qui fermait la marche. Il était plus grand que son ami, bien plus grand et tout aussi fin, les yeux d'un vert profond et les cheveux bruns qui avaient dû être blonds, à l'origine.

Ils marchèrent quelques temps, dépassant sans les voir des cafés à la mode, des boîtes de nuit, détonnants avec force au milieu des touristes, et pourtant tout en ayant l'air parfaitement à leur place. Le gosse s'arrêta avec un geste brusque dans une ruelle perpendiculaire, devant un grand portail en bois massif. Ils étaient dans Greenwich Village, désormais. Les maisons étaient plus rapprochées et les façades plus anciennes. Il souffla sur une mèche de cheveux et passa une cigarette sortie de nul part à son ami. Ce ne fut que là qu'il daigna se présenter.

- Je m'appelle Wilhelm, au fait. Boris et moi, on vous aide que parc'que vous avez l'air clean. Essayez pas de nous enturbaner, on connaît les touristes en galère comme vous comme notre poche, alors pas un mot à l'intérieur. Je parle.

Teresa hocha la tête pour trois d'un air entendu et attendit qu'il lui demande leurs noms, ce qu'il ne fit pas. Ils entrèrent. L'endroit ressemblerait au hangar si le hangar n'avait pas été aussi bien aménagé. Lugubre, sale et éclairé seulement par une minuscule fenêtre poussiéreuse et une faible ampoule dénudée, ce n'était pas un lieu inspirant à la sûreté et à la sérénité. À l'intérieur, dans le fond, sous l'ampoule, il y avait deux hommes et une femme plus âgés, peut-être trente ou trente-cinq ans, sauf un des hommes qui paraissait bien plus vieux, qui triaient ce qui ressemblait fortement à des cachets multicolores. Teresa n'avait aucune idée de comment fonctionnait l'économie souterraine aux États-Unis, mais elle savait parfaitement que dans cette position qui était la leur, il ne fallait rien dire, rester à sa place et ne regarder personne de manière trop insistante. Mais les types étaient cools. Les deux gamins Wilhelm et Boris frappèrent dans la main du plus jeune des hommes et suivit un flot incompréhensible de paroles dans un dialecte obscure. Teresa et Stella echangèrent un regard. Olivier était désormais tout à fait réveillé et il scanait les alentours de son œil aiguisé sans piper mot.

Finalement, Wilhelm se tourna vers eux. Maintenant qu'elle y faisait attention, Teresa se rendit compte qu'il avait un accent étrange.

- Alors, laissez voir c'que vous avez là.

- Surtout cocaïne, et des opiacés, dit Stella d'un ton très professionnel que le gosse sembla apprécier.

Il lui fit signe de s'approcher et elle ouvrit sa valise près de la table. Dans le double fond, elle avait dissimulé des sachets de poudre et de petits paquets de cachets blancs. Teresa détourna le regard, l'envie l'étreignant avec force. Elle croisa les yeux d'Olivier qui semblait s'excuser sans un mot. Les deux types et la femme (le crâne rasé, l'air de truands) observaient avec intérêt la marchandise. La femme demanda autorisation à goûter dans un anglais encore plus mauvais que celui de Stella et celle-ci accepta d'un signe de tête. Wilhelm, qui semblait avoir un statut plutôt élevé dans les affaires malgré son jeune âge, eut droit à un doigt de poudre et releva la tête en faisant un signe de la main. "Qualité française" dit-il en français avec un accent amusant. Olivier eut un rire ironique. Mais ils n'eurent pas de regards meurtriers, car apparemment la dope leur plaisait. Teresa eut droit à une "bise francaise" et Stella à une grande frappe dans le dos.

Ils se firent embarquer dans un bar louche quelques rues plus bas, dans un Village encore plus délavé et qui semblait hanté de toutes les âmes perdues de New York. Le pub était petit et sombre, avec pour seules lumières celle du bar et des guirlandes à fleurs colorées brillantes, détonnant avec l'insalubrité de l'endroit. Ils s'installèrent au bar avec Wilhelm (on aurait dit qu'ici il était un habitué, comme si un gosse de quatorze ans avec un verre de whisky à la main était monnaie courante) où l'immense type qui servait les verres leur lança un regard amical. Il les appela "amis de Wilhelm, bienvenue !" et leur offrit à boire. La providence semblait à nouveau tourner en leur faveur, entichés de leurs gamins des rues et des dealers à têtes rasées. Ils jouaient de la musique folklorique et Olivier, passablement ivre, ne faisait que se plaindre de ne pas pouvoir danser.

- Tu dansais, avant ?

- J'adorais ça ! J'ai fais des claquettes toute mon enfance !

- Jure, c'est fou, disait Teresa, tout aussi alcoolisée.

Ils devinrent vite les meilleurs amis du monde avec Wilhelm. Il leur racontait sa vie, bien amoché par ses trois whisky, avec de grands gestes, n'arrêtant pas de faire des digressions en ce que Teresa comprit être du suédois.

- J'ai grandi dans un secte, en Suède. Très très terrifiant, ce sont les services sociaux qui m'ont sorti de là. Mes parents adoptifs étaient truands alors je me suis enfui dans la nature. Venu en Amérique en bateau ! J'avais onze ans. Ici Patrick et Miranda m'ont recueilli et suis entré dans le traffic à genre, quoi, douze ans ? Trois ans que je bosse pour eux, ce sont les meilleurs mentors que j'ai jamais eu. Suédois aussi, parlent très mal anglais, c'est les autres enfants que j'ai rencontré dans la rue qui m'ont tout appris.

Son anglais était en effet très bon, ç'en était presque incroyable compte tenu de son histoire. Le barman leur payait des coups en échange de cocaïne et eux-même (Wilhelm compris) sniffèrent beaucoup de poudre ce soir-là. Ils s'amusaient comme des fous. Le barman invita Stella à danser, Teresa goûtait à sa première impression de bonheur depuis longtemps, le reste éclipsé par l'alcool tiède et les parfums d'herbe qui flottaient.

Vers trois heures du matin, Wilhelm les raccompagna. Ils avaient vendu près de trois cent dollars de marchandise, et Stella, dans son esprit de businessman, divisa la somme en deux avec Wilhelm, Patrick et Miranda et l'autre type comme s'ils avaient été collaborateurs de longue date. Ils rentrèrent dormir à l'hôtel et promirent de revenir le lendemain les voir pour prendre un verre.

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Wilhelm, celui qui capte la réf de personnage je l'épouse

Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant