Chapitre 5 - 5

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- C'était quand, ta première fois ?

- Première fois pour les Oxys ?

- Mais non, ducon, sexuellement parlant.

- Tu trouves pas qu'on se connait depuis trop peu de temps pour aborder les sujets sensibles ?

- Parce que c'est un sujet sensible ?

Teresa rit et produit un petit nuage de fumée avec lequel elle faillit s'étouffer. Paul et elle étaient copieusement défoncés. Lui était en littéraire et n'avait pas d'activités le mercredi après-midi. Teresa et lui s'étaient tout de suite très bien entendus. À part Olivier, il était la seule personne avec qui elle pouvait partager ses goûts en littérature. Son truc, à Paul, c'était le théâtre. Il rêvait d'en faire son gagne-pain, et de toute manière il pouvait se permettre de ne pas en vivre tout en ne faisant rien de plus dans la vie ; ses parents étaient de riches industriels, des types self-built brillants qui avaient abandonné l'idée que leur fils ne suive leur trace sur le chemin du business.

- Alors ?

La fumée du joint lui faisait briller les yeux. Le truc bien avec les opiacés, c'était qu'en en prenant seulement un petit peu on planait pendant des heures. Forcer un peu et c'était le sommeil de plomb assuré. Ils étaient tous les deux confortablement perchés sur un petit nuage d'aise. Teresa cendra dans le pot de fleur près de la fenêtre.

- Toi d'abord.

- Avec une fille, j'avais quoi, treize ans ? Sur le parking d'un Lidl avec une femme, une adolescente bien plus âgée que moi en fait. J'étais d'accord, même plus que d'accord. On a fait ça dans la voiture, à l'étroit, chelou, drôles de sensations. J'étais pas sûr d'avoir aimé la première fois.

- Et avec un mec ?

- C'était un gars magnifique, j'en étais fou amoureux en troisième. Il était en seconde, un peu plus vieux, il faisait du baseball et je trouvais ça super cool. Mais lui, les mecs c'était pas son truc. On l'a fait à une soirée alors qu'on était bourré. Il m'a plus jamais adressé la parole après. Ça m'a brisé le cœur. Et toi ?

- J'avais douze ans, je crois. C'était une fille très banale, très ennuyeuse. Mais j'étais sous le charme, va savoir pourquoi. À un concert miteux qu'ils organisent parfois dans le champs à côté des préfabriqués où je vis - vivais. C'était cool, pour une première fois. On s'est revu quelques fois après, mais c'est tout.

Teresa écrasa la fin du joint dans le pot de fleur et jeta un regard par la fenêtre. Elle ne voulait plus avoir cette conversation.

- Donc t'es genre lesbienne à trois mille pour cent, jamais vu une teub de ta vie ?

- Quel poète, dites-moi, ironisa-t-elle avec un sourire crispé.

- Nan, sérieux ?

- Si, je l'ai déjà fait avec un mec.

Elle devait être sacrément plus défoncée qu'elle en avait l'impression pour parler de ça avec tant de facilité, presque avec humour.

- Plusieurs fois, en fait. Je crois pas avoir été une seule fois consentante.

- Merde.

- Ouais. Différents beaux-pères, entre autre. Pas des histoires très intéressantes.

Elle voyait bien que la curiosité de Paul, qu'elle savait sans frontière, avait été piquée.

- Donc c'est pour ça que t'aimes les filles ?

- Mec, c'est pas parce que j'ai été traumatisée enfant par les bites que j'aime les filles. J'aime les filles parce que j'aime les filles, c'est comme ça.

Il n'était pas vexé par son ton tranchant.

- Quand même, c'est dur à imaginer. T'as jamais voulu le faire avec un type, mais dans les règles de l'art ?

Teresa éclata de rire. Son rire flotta quelques instants avant de disparaître et elle ne le quitta pas des yeux jusqu'à ce qu'il ne s'évapore.

- Les règles de l'art ?

- Tu sais, un consentement réciproque, une bougie, un préservatif fluorescent...

- T'es vraiment tordu, toi.

Il se rapprocha imperceptiblement. Automatiquement, Teresa sentit le danger venir. Elle se rétracta.

- Tu veux pas essayer ?

Elle l'arrêta brusquement dans son geste. Les flash-backs débarquèrent sans qu'elle ai rien demandé.

- Non, dégage.

- Eh, tranquille, j'attrapais juste une feuille. On peut prendre notre temps.

- Non, c'est un non catégorique. Peut-être que c'est super ou je sais pas quoi mais je suis traumatisée. Je rigole pas. Y'a rien de drôle. Je t'aime bien, mais non. C'est pas possible.

Il se rassit directement de son côté du lit, hochant la tête. Il y eut un petit silence particulier, un peu gêné, un peu dérangé. On voyait qu'il voulait ajouter quelque chose mais qu'il ne savait pas comment le formuler. Le ciel commençait à s'assombrir. La nuit tombait.

- Mon ex petite amie était comme toi. Enfin, pas vraiment, mais quand même. Elle s'est faite violer par un type, un soir, dans une rue. Après ce jour elle a plus jamais été capable d'avoir un rapport sexuel avec moi, ou avec qui que ce soit. Je force pas, j'ai juste trop de curiosité. Ça me perdra.

Teresa eut un rire mince. "Ouais, j'avais remarqué ta grande curiosité." Encore un silence. Teresa ne se sentait pas gênée par le silence. Elle n'avait pas ce stupide besoin de le remplir en permanence. Elle aimait le silence. Si deux personnes sont capables de bien se taire dans une conversation, c'est que le courant passe bien.

- Et comment ça s'est fini avec ton ex ?

- Elle m'a quitté pour un type bodybuildé qui bosse à la piscine municipale.

- Non, je veux dire, pour le traumatisme. Ça se répare ?

Paul sentit percer un morceau de désespoir dans sa voix mais ne le fit pas remarquer. Tout autour d'eux, la jolie lumière violette des néons brillait et se dissipait dans l'obscurité. Il effleura sa main, comme s'il essayait de faire passer un message trop puissant pour être formulé avec des mots.

- De la thérapie. De la patience.

- J'ai ni l'un ni l'autre.

- Peut-être que ça peut se soigner tout seul, qui sait.

Teresa espérait. Un nouveau silence, un silence de la pensée, de la réflexion.

- Je parle trop quand je suis défoncée.

Paul enclencha la première pour prendre cette nouvelle piste de conversation avec la discrétion d'un trente-cinq tonnes.

- C'est pour ça que tu te défonces ? Pour oublier ?

- C'est le cas de tout le monde, non ?

- Peut-être, ouais.

Ils laissèrent leurs pensées aux vagues du vent nocturne qui tombait sur la ville. De la fenêtre de Paul, on la voyait toute entière. Les lumières s'allumaient les unes après les autres, de quartier en quartier. Les chats errants sortaient de leurs tanières tels des prédateurs en quête de proies. C'était une belle soirée.

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ouhouhou que je suis excitée
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Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant