Chapitre 6 - 3

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Après cet épisode, Teresa garda un œil sur Olivier. Il agissait bizarrement, ne semblait pas enclin à partager ses activités journalières avec les deux jeunes filles et restait silencieux. Stella était dans une forme incroyable. Elle redoublait d'énergie pour ses ventes et était peu souvent au hangar, courant ici et là, ne rentrant à la nuit tombée que pour repartir et s'enfuir en boîte de nuit. Teresa l'accompagnait parfois, et invariablement à leur retour elles retrouvaient Olivier assis à la table de la cuisine avec une tasse de thé froid.

Stella reparla sans que personne ne s'y attende de cette cargaison de coke à détourner. Elle semblait caresser cette idée comme s'il s'agissait de l'action la plus amusante de l'année et qu'ils avaient ne serait-ce que le plus petit pourcentage de chance de réussir. Teresa l'écouta déblatérer ses idées pendant le repas du soir et n'arrivait pas véritablement à identifier la nature de ses affirmations. Elle se mit en tête que c'était encore une blague entre elle et Olivier qui lui passait au-dessus de la tête.

Olivier secoua la tête d'un air sombre quand elle remit le sujet sur la table. Stella était partie quelques minutes plus tôt et les deux jeunes gens descendaient des verres de Bourbon sans étiquette pour passer le temps.

- Teresa, Teresa... Tu sais, t'es une fille brillante, bien plus que moi, mais parfois ta naïveté est sans borne. Tu crois que c'est seulement une blague ? Stella y sera, dans trois semaines. Je la connais bien. Elle y sera.

Teresa toussa dans sa main, troublée.

- Tu crois ?

Olivier hocha la tête avec assurance. On ne lisait aucune émotion sur son visage. Il replongea son attention dans son livre. La jeune fille réfléchit quelques secondes. Cela ne lui avait même pas traversé l'esprit que Stella put être sérieuse. George et les jumeaux avaient mis en place des dizaines de plan comme celui-ci pour s'amuser, et jamais ils n'avaient mis leurs préparations à exécution. C'était seulement pour passer le temps. Mais elle ne pouvait nier que Stella n'était pas de cette trempe-là. La question devenait alors la suivante : était-elle assez stupide pour croire que son modeste plan bancal pourrait marcher ? Teresa se gratta la tête. Elle n'avait pas tous les éléments en tête pour réfléchir et le bourbon la rendait confuse et légèrement hilare. Olivier, qui avait pris son premier verre à quatorze heures, tanguait sur sa chaise et marmonnait parfois pour lui-même des paroles inintelligibles. C'était une semaine difficile pour lui. Il ne s'était toujours pas décidé à parler à Teresa et ne semblait pas prêt à le faire, mais Teresa n'osait pas le presser. Et puis depuis le passage de sa soeur elle avait pris conscience que quelque part, hors de ces murs, il avait une famille ; mieux encore, une famille au courant. Vallait-il beaucoup s'inquiéter ? Ce n'est pas comme si elle pouvait faire quelque chose de son côté.

Se rappelant soudain de l'heure qu'il était, Teresa se leva. Elle était bien moins ivre que défoncée et le mélange des deux offrait une transe agréable qu'elle ne voulait pas quitter de si tôt. Olivier, lui, s'était mis à pleurer silencieusement au-dessus de son énième verre vide. Il était si rond que Teresa était persuadée que déposé en haut d'une route en pente il roulait jusqu'en bas. Elle lui serra brièvement le bras et jugea bon de ranger la bouteille - il n'en restait presque rien - dans un placard, loin de sa vue. Quand elle revint à la table, il avait enfoui son visage dans ses mains. Elle le prit doucement par les épaules.

- Tu veux aller te coucher maintenant ? Je dois partir pour un client. Tu seras mieux au fond de ton lit.

Il hocha la tête, fit là une brillante démonstration de son taux d'alcoolémie dans le sang en se levant avec des gestes lourds, suspendus, et se retint à la table une fois debout. Teresa eut à le soutenir pour qu'il atteigne son lit. Il y tomba comme un mort et n'en bougea pas avant un long moment.

Une fois sortie dans la rue, Teresa s'arrêta quelques minutes contre la porte close et poussa un profond soupir. Le vent froid la faisait frissonner. Elle regarda le passage dans la rue comme on observe une pièce de théâtre contemporaine un peu trop perchée à son goût et se mit à marcher en direction de sa vente, troublée par le comportement d'Olivier et celui de Stella. Etait-elle la dernière personne sensée de cette colocation ? Parfois, elle se le demandait.

Elle devait aller livrer plus loin en ville, dans un quartier friqué d'où venait une grande partie de leurs clients les plus assidus. C'étaient de nouveaux types. Teresa était certaine de ne jamais les avoir côtoyé et elle n'avait accepté de prendre des nouveaux clients que parce que ni Stella (partie depuis le matin Dieu seul sait où) ni Olivier (pour les raisons citées précédemment) n'étaient en état d'y aller eux-même. C'était une immense maison blanche à deux étages, aux grandes fenêtres doubles bordées de volés blancs brodés d'or, des balcons spacieux et impeccables où étaient juchées des chaises de jardin et des fleurs aux feuilles d'un vert surnaturel. La cour de devant se composait d'un grand espace couvert de graviers immaculés où étaient garées plusieurs voitures de sport de couleurs criardes et ostentatoirement brillantes de propreté. Elle ne prit pas le temps d'hésiter et poussa le portillon qui menait à l'allée vers la grande porte d'entrée en fer noir, quand un énorme chien lui bondit dessus, tous crocs dehors. Elle eut un cri qui exprimait plus la surprise que la peur et envoya un grand coup de son sac dans les mâchoires du molosse en l'insultant. Alors qu'il allait revenir à la charge, aboyant comme un fou furieux, une fenêtre s'ouvrit à la hâte, une silhouette en sortit et hurla le prénom de la jeune fille. Elle fut si surprise par le propriétaire de la voix qu'elle oublia une seconde de trop le chien, qui en profita pour lui attraper la jambe. Paul, perché au balcon, appela l'animal par son nom qui se mit à glapir et détala dans sa niche, non sans un dernier grognement à l'égard de Teresa, un peu dépassée par les évènements.

- Bouge pas, je viens t'ouvrir. Tu restes ce soir, hein ? On a des champis !

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Avec 418 années de retard, voici la suite hehehe. J'espère être plus régulière par la suite. Yo les gens. Ah, et aussi ça va devenir déprimant, un peu. J'vais vous faire chialer (c'est pas vrai) dsl

Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant