Hélène et Teresa continuèrent de se voir après cette soirée. Le jeudi soir de la semaine qui suivait, Teresa reçut un SMS de sa part avec son adresse et un message qui disait que ses parents n'étaient pas chez elle pour deux jours. Lorsqu'elle lui ouvrit la porte, tout sourire, Teresa eut un pressentiment étrange mais ne le releva pas. Elles mangèrent des pop-corns en discutant avec animation et firent l'amour jusqu'à s'endormir l'une contre l'autre.
Le père d'Hélène était un de ces générations de religieux qui avaient le droit de construire une famille et de continuer à exercer son métier. Sa mère était institutrice à l'école primaire d'en face et était étonnamment jeune à côté de son mari, comme Teresa le remarqua sur les photos au-dessus de la cheminée. Elle avait trois frères plus âgés qui avaient quitté le domicile il y a des années. Elle lui raconta que ses parents avaient jeté leur second fils à la porte quand ils s'aperçurent qu'il avait détourné deux mois de salaire de la paroisse pour financer un site Internet dans leur dos. Maintenant, sa boite valait des millions d'euros et il leur envoyait des chèques exorbitants à Noël et pour les anniversaire sans pour autant être jamais revenu les voir.
Dans toutes les pièces, il y avait au moins une croix accroché au-dessus de la porte ou des petites plaques de bronze avec des prières gravées ou des versets de la Bible. Teresa se sentait un peu mal à l'aise dans cette maison, comme si tous ces mini-Jésus agonisants la jugeaient de leurs petits yeux noirs. Un jour, alors qu'elle se retenait de décrocher tous ces martyres du mur, elle questionna Hélène qui fumait à la fenêtre.
"Pourquoi est-ce que tout le monde en fait tout un plat de ces vieilles légendes ?
- Oh non," objecta vivement Hélène avec de grands yeux. "C'est pas des légendes.
- Quoi, tu crois en Dieu ?" ironisa-elle, puis, étonnée de la voir hocher gravement la tête : "Vraiment ?
- Bien sûr." Le regard incrédule de Teresa la fit rire. "Mon père est un vieux con, mais malgré ça j'ai la foi. Seulement toutes ces conneries de l'Homme et de la Femme et de pas de sexe avant le mariage c'est dépassé. Ils comprennent pas que le monde évolue."
Hélène était une fille mature et posée, qui ne prononçait jamais un mot au-dessus d'un autre. Malgré le fait qu'elle mentait comme un arracheur de dents à ses parents, le motif de tous ses agissements étaient clairement lié à ses sentiments honorables et à son âme altruiste. Elle partait tous les étés en mission humanitaire dans les pays pauvres, apportait bénévolement son aide aux maisons de retraite des environs pendant les vacances, chose qui lui tenait très à cœur vu avec quelle douceur et quel amour elle racontait les histoires des personnes âgées et le chagrin qu'elle eut parfois en apprenant un décès. Elle ramenait toujours des cartes ou des broderies que les vieilles dames lui offraient. Plus tard, Léo fit ses premiers récitals de piano dans ces maisons de retraite.
Mais à côté de ça, elle avait arrêté le lycée il y a quelques mois sur un coup de tête et quelques crises de nerf incontrôlées, s'était mise à fumer de l'herbe et passait ses journées à peindre des paysages désertiques, écouter du vieux Metallica, du Animals as Leaders et du Dead Wolf, et se prendre la tête avec ses parents. Teresa avait un peu de mal à saisir ces colères contre ses parents qui, au fond, n'avaient pas l'air si monstrueux que ça, mais plus tard, bien plus tard elle commença à comprendre la frustration et la douleur d'être la petite dernière ratée qui a abandonné ses études et surtout de devoir cacher son homosexualité à ses parents.
Le pressentiment qui avait étreint Teresa la première fois qu'elle avait passé la porte de cette maison se précisa de jours en jours durant toute l'année qui suivit. Les regards échangés prenaient une autre saveur et des mots qui ne franchissaient pas les lèvres flottaient tout de même dans l'air au matin, après une nuit de sexe passionné.
Quand, un mois jour pour jour, Hélène invita Teresa un week-end froid d'hiver et lui annonça droit dans les yeux ses sentiments à son égard, Teresa resta de marbre. Elle savait ce que pensait Hélène et avait bien réfléchi à la manière la plus simple de ne pas la blesser, mais maintenant qu'elle était devant elle, à moitié nue dans l'obscurité de sa chambre, elle se sentit désemparée. Elle ne pouvait pas lui expliquer froidement qu'elle ne ressentait pas d'amour à son égard et que d'ailleurs elle n'avait jamais ressenti d'amour pour personne, mais elle aimait sa compagnie, et elle aimait passer des nuits à ses côtés. Elle la trouvait belle et elle aimait l'entendre rire, alors elle se contenta de l'embrasser sans répondre.
Plus tard dans la nuit, Hélène réveilla Teresa en sursaut. Apeurée, blottie dans ses couvertures avec un air anxieux sur le visage, elle lui secouait le bras brutalement. "Je crois que mes parents sont rentrés.
- Mais non," râla Teresa, encore à moitié endormie. Hélène lui avait déjà fait le coup plusieurs fois et ça l'irritait de plus en plus, surtout à trois heures du matin un dimanche soir. "Rendors-toi.
- Non, je suis sérieuse. J'ai entendu la porte s'ouvrir et je les ai entendu parler dans le salon...
- Tu dis ça à chaque fois, arrête maintenant." la coupa-t-elle en haussant un peu la voix.
Elle commençait à peine à se rendormir quand la lumière s'alluma. Elle croyait d'abord que c'était Hélène qui allait vérifier toutes les pièces de la maison, mais une forte voix masculine retentit dans la pièce, et sans qu'elle ai eu le temps de pleinement réaliser ce qui se passait, une main de fer l'empoigna par le bras et la tira du lit. Le père d'Hélène, écumant de rage, lui hurla de dégager le plus vite possible avant qu'il ne la tue de ses propres mains. La peur prenant le dessus, Teresa s'empressa de ramasser ses quelques affaires et n'eut même pas le temps de jeter un œil à Hélène, poussée en avant par son fou-furieux de père. Il était vraiment très grand et semblait à deux doigts de lui coller une droite, alors elle jugea plus sûr de ne pas discuter et se retrouva éjectée dans la rue, à trois heures du matin et à plusieurs dizaines de kilomètres de chez elle, sans argent pour un taxi ni trafic pour faire du stop.
Elle mit quelques secondes avant d'assimiler les événements imminents. Elle s'habilla dans la rue, à l'ombre d'une ruelle perpendiculaire et commença à marcher. Pendant près de deux heures personne ne la prit en stop et lorsqu'elle arriva chez elle, à bout de force et encore choquée par la réaction disproportionnée du paternel d'Hélène, tomba toute habillée sur son lit et dormit comme une morte jusqu'au lendemain matin, onze heures, quand sa mère l'appela à-travers la porte close. Teresa grogna d'une voix endormie étouffée par les couvertures.
"Y'a quelqu'un pour toi à la porte.
- Dis-leur de dégager," répondit-elle avec mauvaise humeur. Les souvenirs de la vieille n'atteignaient pas son esprit embrouillé par la fatigue.
"Je pense que tu ferais mieux de venir voir, Teresa. Je sais pas ce qui s'est passé pour cette fille mais elle a clairement besoin d'aide."
Hélène, courbée et désemparée, tirait une petit valise à ses côtés. Son maquillage avait coulé en longues traînées noires sous ses yeux et elle n'arrêtait pas de pleurer. Teresa n'a jamais été quelqu'un de très empathique, mais elle sentit son cœur s'étreindre.
"Comment tu as su où j'habite ?
- J'ai appelé Gautier. Il est venu me chercher."
Teresa la distilla du regard quelques secondes avant de la laisser rentrer et de lui porter sa valise jusqu'à la chambre. Sa mère, le sourire aux lèvres, chantonnait entre ses dents en faisant cuire des cordon bleus. Elle avait rencontré un nouveau type quelques semaines auparavant et semblait avoir retrouver un semblant de joie de vivre, véhiculant par le même biais une atmosphère bien plus douce dans l'appartement. Même Léo recommençait à sortir de sa chambre. Depuis qu'il maîtrisait la lecture, il passait ses journées un livre à la main. Il lisait tout et n'importe quoi, mais Teresa essayait de l'orienter vers certaines lectures qui lui semblaient importantes. Depuis une semaine, il demandait à lire des bandes dessinées mais Teresa, qui n'en avait jamais lu, l'a envoyé chez le voisin. Il lui semblait qu'ils avaient lié un semblant d'amitié et il faisait parfois des allées et retour jusqu'à chez lui en revenant avec des Valérian et Lauréline et des Tintin.
Teresa proposa son lit à Hélène. Elle se blottit dans les couvertures et dormit pendant quatorze heures sans interruption.
VOUS LISEZ
Les anges meurent aux balcons
General FictionÀ dix-sept ans, Teresa habite dans une cité mal famée en compagnie de sa mère héroïnomane et de son génie de petit frère. La dureté de sa condition ne lui fait pas croire à un avenir radieux mais elle n'imaginait pas que ses fréquentations la mènera...