La boîte était bruyante, grouillante de monde. Les néons du bar reflétaient les courageux qui flirtaient sur la piste de danse tandis que les autres observaient les nuances de couleurs artificielles dans le liquide de leurs verres. La musique était mauvaise et trop forte, l'odeur de transpiration trop présente. Il était à peine quatre heures du matin et pourtant nombreux étaient les jeunes gens qui rentraient chez eux. Ceux-là étaient sortis dans un moment de folie et étaient rattrapés par la conscience de la journée difficile qui allait les attendre à peine quelques heures plus tard. Teresa était l'une d'eux. Pour l'instant, elle sortait des toilettes. Son mascara avait coulé, son verre était vide. Elle chercha ses amis du regard, mais ils avaient disparus. Elle n'avait pas le courage de les chercher dans la foule compacte et cet environnement bruyant. Un coup d'œil à sa montre, un soupir.
Elle se faufila dans la foule à grand renfort de coups d'épaule et finit par accéder aux vestiaires. Elle patienta, accoudée au comptoir et attendant son dû, assommée par la musique trop forte et les shoots de Jet plus tôt dans la soirée, quand deux mains musculeuses l'attrapèrent par les épaules. Elle se retourna, tomba nez-à-nez avec un Gautier titubant et hilare qui lui criait à l'oreille pour se faire entendre.
- Bah qu'est-ce que tu fais ? Tu viens pas danser ?
- Non, j'me casse. On se fait chier ici. Et puis j'ai cours demain.
- C'est toi qui m'a fait chier pour venir ! T'es sérieuse ?
- Désolée. On s'voit plus tard, vieux, conclut-elle en lui échappant des bras et jouant des coudes pour accéder à la sortie.
Elle fut éjectée dans la rue où la fraîcheur nocturne lui fit l'effet d'une douche froide. La boîte ne donnait pas sur une rue très fréquentée mais c'était la plus proche de là où elle habitait. Elle mit sa large veste sur ses épaules et se mit à marcher d'un pas énergique en direction de chez elle. Elle connaissait ces rues par cœur pour les emprunter depuis sa plus tendre enfance, le plus souvent seule, parfois accompagnée de son cousin Georges. Il faisait froid et elle serrait ses mains contre son torse, les yeux rivés sur le sol. Plus elle se rapprochait du quartier dans lequel elle vivait et plus les lampadaires encore allumés s'espaçaient. Elle n'en tenait plus compte.
Teresa habitait au troisième étage des préfabriqués non-chauffés et mal isolés mais au loyer suffisamment bas pour que sa mère puisse se le permettre et loger ses deux enfants. Au loin, dans le petit parc pour enfant plongé dans la pénombre riaient un groupe de garçons un peu plus jeunes qu'elle. Ils lui lancèrent une bouteille de bière vide, ratant leur cible qui se mouvait rapidement et d'un pas sûr pour accéder aux escaliers qui menaient à son étage. Elle n'y faisait plus attention. Elle chercha un bon moment la clef dans son sac à dos, entendait encore les garçons rirent derrière son dos, hurler des obscénités à tout va.
Elle referma la porte derrière elle dans un crissement et fit attention à ne pas faire de bruit pour éviter de réveiller sa mère qui dormait sur le canapé. Elle percevait à peine les contours de sa silhouette, seulement son tee-shirt blanc qui s'éclairait à la lueur de la télévision qu'elle s'empressa d'éteindre. La jeune fille passa par la salle de bain pour prendre un Doliprane avec un grand verre d'eau, se laver les dents. En sortant de la pièce, elle nota du regard la lumière qui filtrait de sous la porte de sa chambre qu'elle partageait avec Léo. Par curiosité, elle poussa la porte du pied, tendit l'oreille. Elle ne comprenait pas ce qu'il disait, ne distinguant que des brides de mots sans aucun sens. Mais il sembla remarquer sa présence et cessa de parler.
- Maman ?
- Non, dit-elle en pénétrant dans la petite chambre. Non, c'est moi.
- Oh, salut. T'étais où ?
- Sortie, souffla-t-elle en s'efforçant de chuchoter. Elle jeta ses affaires sur son lit, entreprit d'enlever ses chaussures et son regard tomba sur le livre que Léo tenait entre les mains. "Qu'est-ce que tu fais avec ça ?"
C'était son exemplaire des Âmes du Purgatoire qu'elle avait dû acheter pour le lycée l'année précédente. Léo le tenait dans ses petites mains, et on voyait sur son visage qu'il ne savait pas s'il devait être content de lui ou faire profil bas. Étonnée, Teresa le désigna d'un geste de la tête.
-Tu comprends ce que tu lis ? Et puis depuis quand tu sais lire, toi ?
- Je veux apprendre. C'est juste que c'est le plus petit que j'ai trouvé, de livre. Mais faut que tu m'aides.
Il haussait les épaules comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle du monde. Elle se souvenait bien s'être amusé à lui apprendre l'alphabet l'année d'avant ou quelque chose comme ça mais avait bien vite abandonné l'idée de lui faire l'école en voyant que sa mère ne prévoyait pas de le scolariser. Quand bien même si elle le faisait, elle oublierai de l'y emmener et cela ne ferait qu'attirer les services sociaux chez eux. Mais elle se doutait bien qu'il se souvenait de tout. À quatre ans, c'était un garçon éveillé qui avait parlé tôt, marché tôt, avec une excellente mémoire, mais Teresa était bien la seule à s'en rendre compte. Elle ne s'étonnait même plus. Elle haussa les épaules à son tour, comme ils le faisaient toujours lorsqu'ils parlaient entre eux.
- Bon écoute, on verra ça demain. Je t'aiderai, mais d'abord on dort.
Il répondit à l'affirmatif, se glissa vite sous ses couvertures, éteignit la petite lampe de chevet entre les deux lits et bientôt, il n'y eut plus que le silence. Teresa fixa l'obscurité de longues minutes, écouta la respiration de Léo devenir de plus en plus profonde, de plus en plus lente. À quatre heures quarante-six, le train passa tout près, juste en-dessous des fenêtres de la chambre, faisant trembler les murs fins et projetant en saccades la lumière de ses wagons à l'intérieur de l'appartement. Le contour des objets se dessinait quelques secondes avant de disparaître à nouveau dans le noir, pour réapparaître encore, et ceux dans un cycle infini et rassurant du fait qu'il se déroulait toutes les nuits à la même heure et chaque nuit, Teresa pouvait poser les yeux sur l'environnement familier de sa chambre ; l'amoncellement d'habits sales derrière la porte, le vieux synthétiseur pourri qu'elle avait acheté en vide-grenier, le petit bureau sous la fenêtre qui ployait sous le poids des feuilles éparpillées, des bouquins d'astronomie au milieu des pièces de Molière et des cendriers pleins à craquer.
La routine.
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BONJOUR et bienvenue sur LAMAB, je me présente, je suis l'auteure. Installez vous confortablement dans vos sièges, prenez un peu de pop corn et part à la vie mouvementée de Teresa Pschutt. Ne vous museler pas, battez vous en espace commentaire et faites moi regretter d'être sur cette plate-forme. Enjoy (:
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Les anges meurent aux balcons
Fiction généraleÀ dix-sept ans, Teresa habite dans une cité mal famée en compagnie de sa mère héroïnomane et de son génie de petit frère. La dureté de sa condition ne lui fait pas croire à un avenir radieux mais elle n'imaginait pas que ses fréquentations la mènera...