Chapitre 11 - 2

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Il la déposa dans une autre station service, un peu plus loin au Nord-Est du pays. Les paysages à la fenêtre n'avaient pas grandement évolué et Teresa ressentait toujours la même fatigue écrasante du début de voyage malgré sa sieste tranquille. En plus de se sentir vaguement fébrile, elle était encore un peu malade et ne disposait d'aucune drogue pour se sentir mieux - et elle s'imaginait mal toper à qui que ce soit dans cet environnement inhospitalier. Néanmoins, elle se félicita grassement d'avoir volé le peu de liquide trouvé chez son bourreau pour pouvoir jouir d'un café à la station service et de quoi se nourrir, après quoi il lui restait une somme suffisante en poche pour toute la longueur de son voyage.

Sa seconde auto-stoppeuse était, si possible, encore plus bavarde que le premier. Un peu illuminée, aussi. Elle expliqua à une Teresa ensommeillée la quatrième dimension de leur univers, les signes et les indices de la destinée et essaya même de lui lire les lignes de la main à un feu stop.

Second arrêt au lever du jour. Les feux du levant sûrent à leur manière convaincre la jeune fille que sa vie ne s'était pas arrêtée en même temps que celle de ses deux amis. Quelque part, l'univers continuait sa grande valse effranée, au rythme des secondes, des matins, des années. Elle acheta un café italien pour se réchauffer les mains et assista au magnifique éclat du nouveau soleil. Celui-ci lui semblait différent, bien plus lumineux que dans ses souvenirs. Elle fuma, en paix avec elle-même, confortablement assise sur le sol chaud, jusqte devant le diner aux néons épileptiques. Elle fit du stop durant plusieurs heures et tomba sur celui qui fut son troisième et dernier compagnon de route. Il avait la vingtaine bien entamée et encore l'esprit Romantique bien aiguisé. Il écoutait une version audio de Crimes et Châtiments et ne le mit sur pause que pour se présenter à Teresa. Il avait l'air plus jeune qu'il ne l'était réellement, avec des focettes adorables lorsqu'il souriait, ce qu'il faisait abondamment. Ses cheveux trop longs tombaient sur ses yeux mais il n'en avait que faire. 

- Hugo, enchanté. Tu aimes Dosto ? demanda-t-il comme s'il s'agissait d'une vieille connaissance à lui.

- Assez. Mais je ne l'ai lu qu'en traduction.

- T'es française, toi, pas vrai ? On m'y trompe pas, avec l'accent. Oui ? Alors, d'où en France ?

- Paris, répondit-elle tout en sachant pertinemment qu'aucun autre nom que celui-ci ne réveillerai la connaissance et l'intérêt de son interlocuteur.

- Ah bon , a-t-il dit d'un air ravi. La Tour Effel, les grandes avenues ?

Elle fut tentée de répondre par l'affirmatif, mais mentir demandait trop d'effort et elle était fatiguée.

- J'ai grandi dans les quartiers, en fait.

- Oh, je vois. Je viens du Bronx, alors je connais ça, le quartier. Pas d'études ?

- Sur pause. Je comptais reprendre en revenant à New-York.

Ce qui avait été programmé comme un mensonge innocent sonna délibérément juste à ses oreilles, et elle réalisa que c'était, au final, le mieux à faire dans son cas de figure. Après tout, pourquoi pas. La vie ne s'était pas arrêtée. Elle avait du mal à se faire à cette idée. Elle en prenait à peine conscience.

- Moi pareil. Enfin, j'ai arrêté. Pour reprendre l'usine familiale, (Il frappa le volant de ses deux doigts.) tu vois le genre.

- Un peu.

- Et toi, tes parents ?

- Mon père était soldat. Ma mère était danseuse, au départ, je crois. Mais elle a tout arrêté pour... Enfin...

- Ouais, je connais la chanson. Boisson ?

Elle mit un instant à réaliser qu'il n'était pas en train de lui proposer à boire.

- Héroïne, en fait.

- Aïe, dur.

- Ouais.

Le courant passait bien. Elle se fit conduire jusqu'à New-York, où elle remercia Hugo chaleureusement en lui offrant un chocolat chaud pour sceller leur amitié jetable. Et puis Teresa s'en alla pour ne plus jamais se retourner.

*

Elle prit le métro jusqu'à Central Park. Elle déambula un temps dans le parc désert, à quelques minutes de la fermeture, s'installa sur un banc et contempla la nature et la luminosité décroissante. Les colombes s'agitaient encore aux dernières lueurs du jour, les angoisses de la jeune fille avec. Elle fuma à la chaîne, saturant ses poumons de leur douce nourriture cancérigène et se demanda ce qu'il faudra pour qu'elle rende, elle, Tereqa Pschutt, son dernier souffle. Quand le voile de la nuit fut tout à faire jeté sur la ville, elle reprit sa marche. Celle-ci la mena jusqu'au dernier point d'encrage dont elle disposair : la piaule de Andy, l'inconnu du parc. Le visage qu'il lui offrit en ouvrant la porte fut bien preuve que, contre tout le reste, il ne s'attendait pas à la revoir un jour mais s'en trouvait agréablement surrpis.

- Oh, salut Teresa. Qu'est-ce qui t'amène ?

Ces seules paroles de gentillesse suffirent à la faire fondre en larmes dans ses bras. Il écarquilla les yeux, surpris et inquiet, et lui caressa tendrement les cheveux. Il se mit à la rassurer comme un grand frère soucieux de son bien être. Il était la seule personne en qui elle avait encore confiance et il se montrait à la hauteur de ses attentes et la serrant fort contre lui. Elle ne pouvait s'arrêter de sangloter comme une enfant, la terrible pression de ces derniers jours pesant sur sa poitrine comme autant de pieux enfoncés dans son coeur. Mais il était là, et il allait s'occuper d'elle.

- Eh, ça va aller, t'en fais pas.

Ouais, ça va aller.

Les anges meurent aux balconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant