Partie d'Isidore - Chapitre 7

103 12 3
                                    

Le lendemain j'ai une ecchymose sur la pommette gauche. Je me regarde dans le miroir de la salle de bain le matin. Ma peau encore humide, parsemée de gouttelettes comme d'étoiles, mes cheveux noirs et trempés qui fendent mes tempes. Je reste les mains crispés sur le bord du lavabo à observer cet hématome. C'est le premier. Le premier bleu. Sa couleur est ternie par la buée déposée sur le miroir, mais je le sens azur. Je lève un doigt vers mon visage pour l'effleurer, une douleur diffuse éclate sous la pulpe de mon index. Je ne sursaute pas. Mon reflet me dévisage durement. Je me souviens de ma visite à Boygirl hier soir, de la photo toujours aussi méprisante à côté de celle pâlie de son frère. Il y avait deux nouvelles roses, identiques aux premières - la première ecchymose les premières roses. Quand je les ai vues de loin, j'ai failli repartir. Je suis venu quand même et j'ai demandé à Boygirl en m'asseyant en tailleur devant sa tombe :

« Qu'as-tu fait, la première fois qu'ils t'ont frappée ? »

Je ne m'en souvenais plus. J'aurais voulu qu'elle me le rappelle. Elle est restée muette bien sûr, son long doigt encore sur ses lèvres pour les clore dans l'odeur de chlore. Je lui ai raconté comment j'avais réagi et elle n'a ni approuvé, ni condamné mon inaction.

« C'est plus facile pour toi aussi, tu faisais de la boxe. Je t'ai vu te battre une fois. Tu savais te défendre. »

J'ai saisi la rose rose entre mes doigts, la plus fanée.

« Je me demande pourquoi tu ne l'as pas fait plus souvent d'ailleurs. J'aurais bien aimé te parler avant ta mort. J'ai l'impression d'avoir raté quelque chose. Ils se moquent tous de moi parce que j'aime les garçons, tu aimais qui Boygirl ? Est-ce que tu éprouvais quelque chose pour quelqu'un ? D'assez fort pour qu'il fleurisse ta tombe ? »

Dans la salle de bain je me mets à pleurer. J'ai pleuré aussi devant les roses, en me rendant compte de ce qui abîmait mon petit cœur.

« Est-ce que j'aime quelqu'un assez pour qu'il vienne fleurir ma tombe ? Je ne vais pas survivre, je ne vais pas survivre Boygirl. On va me demander encore quel garçon je préfère, on va demander à Amélie si c'est bien de m'avoir pour meilleur ami, on va demander encore à Adel s'il n'est pas dégoûté par moi. »

Devant la tombe aussi je versais mes larmes, là c'est un lavabo et c'est plus ridicule, là c'est mon propre reflet et mon propre cadavre.

« Je pleure un peu parce que je suis humain et parce que bien sûr que j'aime quelqu'un assez fort pour aller fleurir sa tombe mais pas pour qu'il vienne fleurir la mienne et ça me tue autant que leurs plaisanteries dégradantes. »

Je passe ma main sur mon reflet embué pour découvrir des yeux embués, et un bleu qui les met en valeur.

Nous sommes tous les deux debout près des casiers, comme deux répliques miniatures du tilleul. Il jette un regard autour de lui avant de s'avancer vers moi, certainement pour vérifier que personne ne nous regarde. Il me salue et me demande si je vais bien. Sa voix trouble la cacophonie qui m'enserre. Je me force à sourire et acquiesce avec lourdeur. Il laisse une phrase bienveillante frôler ses lèvres, alors je m'apaise. Il me dit que j'aurais dû allumer mon téléphone hier, je réponds que j'ai oublié. Il sait que c'est un mensonge. Il soupire et passe la main dans ses cheveux sans rien ajouter, pour ne pas me faire trop de reproches. La lumière peint des virgules blanches sur ses joues. Il me fait rire en me racontant une anecdote qu'il a lue quelque part, puis je parviens à rebondir. On parle et ça se passe étrangement bien.

« Je suis content qu'on puisse discuter. », lance-t-il un peu au hasard dans la conversation.

J'ai la peur irrationnelle qu'il ne soit pas sincère, mais je hoche la tête pour lui signifier que j'en suis heureux aussi. Ça faisait quelques temps qu'on ne s'était pas retrouvés seuls et ça m'avait terriblement manqué. Mon cœur tremblote. La sonnerie va bientôt retentir.

BoygirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant