Partie de Hémon - Chapitre 8

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[TW maltraitance] [TW idées suicidaires]


9 mars


C'est perturbant d'être privée de reflet. Le matin dans la salle de bain il n'y a plus qu'un miroir vide en face de moi. J'oublie peu à peu qui je suis, la forme de mon visage ou la couleur de mes yeux. En revanche mon corps se rappelle constamment et douloureusement à moi. Hémon n'arrange rien. Il traîne dans mon champ de vision avec insolence. Il y danse et y hurle et y sourit. Parfois il s'amuse à me frapper ou à me toucher. Il vient m'informer de la longueur de mes cheveux ou de la maigreur de mon ventre et me demande de le remercier. Je m'exécute toujours.


Ce matin j'ai eu cours de natation. Quand je suis passée dans le hall de la piscine, les miroirs m'ont ignorée. J'aurais eu besoin de la présence d'une Antigone qui n'a pas mal pour avancer sans douleur, mais j'ai dû faire sans. J'ai dû entrer dans les vestiaires et humer l'odeur de chlore en étant désespérément seule. Hémon depuis le bus ne s'était pas manifesté, je savais qu'il m'attendait près du bassin. Je me suis déshabillée, j'ai tremblé en pensant à ce qui allait se passer. J'ai passé une main lasse sur mon visage, je me suis dirigée vers les douches, j'ai vacillé. Des taches noires sont apparues devant mes yeux et mon crâne fourmillait. J'ai fini par rejoindre la classe qui trépignait au bord du bassin. Hémon sur le plongeoir enfilait des gants de boxe.

« Tu n'es plus que souffrance, Antigone, maintenant. Ça ne doit pas être très agréable ? » s'est-il enquis avec une candeur hypocrite tout en relevant la tête vers moi.

J'ai haussé les épaules et crispé mes poings nus, me préparant une énième fois à l'affronter et à perdre. J'avais tenté de l'ignorer au début, mais ça ne fonctionnait pas. Il fallait que je me batte même si c'était vain

(comme avant)

. Cependant je préférais rester hors de l'eau, où j'étais plus libre de mes mouvements. Je suis restée au bord du bassin alors que mes camarades y plongeaient. Charles qui s'avançait vers la piscine, m'a remarquée immobile. Hémon m'observait intrigué, mais il a alors sauté dans l'eau et nagé dans ma direction. Seule sa tête dépassait, il avait l'air d'un crocodile. Charles m'a demandé avec un sourire narquois :

« Tu veux pas y aller Boygirl ? »

Hémon a silencieusement articulé : « Antigone » pour que je n'oublie pas mon véritable nom. J'ai lentement secoué la tête. Il allait me jeter en pâture à Hémon. J'étais pétrifiée. Charles a tiré mes jambes et je suis tombée dans la piscine. J'ai coulé au fond du bassin comme si j'étais faite de plomb. Au-dessus de moi s'est dessinée la silhouette de Hémon. Il a fusé vers moi et a enfoncé son poing dans mon abdomen. J'ai toussé quelques bulles. J'ai voulu frapper son ventre de mes jambes, mais elles étaient endolories. J'ai évité trop tard son pied qui a heurté ma tête avec violence. Pendant quelques secondes je suis restée hébétée sur le carrelage du bassin. Hémon a retiré ses gants et m'a dévisagée un instant, avant de sortir de sa poche le petit miroir argenté. Il me l'a tendu avec un sourire arrogant.

« Ça va te détruire. Tous les jours, tous les reflets. Je te le promets Antigone. »

J'ai saisi l'objet et y ai glissé un coup d'œil. Je pensais y trouver l'eau bleue de la piscine, y trouver mon absence torturante, mais dans ce miroir existait quelque chose de plus monstrueux encore. C'était Hémon. Mes yeux se sont écarquillés de terreur et les siens également. C'était la première fois que je le voyais avec cette expression. Pendant ce temps il me faisait toujours face, triomphant. J'ai jeté loin de moi le miroir, qui s'est brisé au fond du bassin. J'ai poussé un hurlement horrifié que l'eau a englouti. L'air qui s'échappait de ma bouche se pressait de remonter à la surface. J'ai voulu pleurer, j'ai voulu ne jamais revenir sur la terre ferme, j'ai voulu mourir dans cette piscine.

BoygirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant