Partie d'Isidore - Chapitre 3

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[TW outing] [TW mention de mort]


À la pause de l'après-midi, Valentin vient parler un peu avec nous – surtout Adel, dont il est plus proche. Adel a participé quelques fois aux passages à tabac de Boygirl, rarement, peut-être une seule, et poussé par les autres, mais il l'a fait. Aujourd'hui, alors que Boygirl est morte, il est peut-être plus coupable que moi. Il a peut-être un peu de son sang sur les mains. Il m'a demandé si je n'étais pas trop secoué, mais sans doute lui l'est-il. Je le regarde parler et rire vaguement avec Valentin. La lumière d'aujourd'hui est très blanche, et roule sur sa peau, sur son visage. Valentin me hèle :

« Eh, Isidore ? Tu es allé à l'enterrement de Boygirl ? »

Dans sa bouche le surnom sonne plus violemment, plus cruellement. Je hoche doucement la tête tandis que la peur s'écoule dans chacune de mes alvéoles. Il sourit et me demande comme Amélie l'a fait, comment c'était. J'inspire ce rayon de soleil posé sur mon nez, qui brûle ensuite ma gorge, avant de répondre.

« Désagréable. »

Je repense à la mère de Boygirl pliée en deux et emportée par le vent. Je repense à Boygirl dont nous n'avons pas pu voir le visage une dernière fois, parce qu'après une semaine passée dans l'eau elle était déjà dans un état de décomposition avancée. Mes paupières se closent un instant, pour qu'en mon esprit soient effacées ou gravées à jamais ces images.

« Pourquoi ? » attaque à nouveau l'adolescent.

Amélie est curieuse à côté, à écouter. Adel semble plus mal à l'aise. Je fronce les sourcils, respire à nouveau, avec plus de difficultés.

« Je me suis senti coupable. C'est un peu à cause de nous qu'elle est morte. »

Ma phrase explose. Le banc aussi peut-être, et nous tous avec, nous explosons de haine ou de remords. J'ai regardé Valentin droit dans les yeux, et il lève les siens au ciel au dernier mot. Je détourne le regard. Adel qui me fixait fuit mes pupilles acides. Un léger silence retombe, comme un voile de cendres. Nous ne bougeons pas. L'atmosphère vibre encore de mes mots : en les disant, j'ai accusé Valentin du suicide de Boygirl.

« Oh, arrête, Isidore. Arrête, c'est insupportable. »

Amélie rompt nos mutismes. Elle secoue la tête avec agacement.

« On n'a rien fait. C'est elle qui a choisi de mourir. On n'était pas là à lui dire de le faire. »

Valentin semble sortir de sa torpeur. Il passe lentement la main dans ses cheveux, puis intervient :

« Arrête de te rendre coupable de sa mort. Et de nous accuser aussi. J'ai pas besoin de ta culpabilité à deux balles. »

Je laisse échapper un petit rire sec.

« Alors il faudrait peut-être te poser des questions. Parce que la fille que tu insultais et tabassais chaque jour s'est suicidée. Ça veut dire que son existence était invivable. Je ne crois pas que tu contribuais à la rendre plus tolérable. »

Aussitôt cette tirade sortie d'entre mes lèvres, je la regrette. Je ne devrais pas provoquer Valentin, pas alors que Boygirl vient de mourir et que sa place est vacante.

« Parce que toi oui ? » rétorque l'adolescent avec une moue ironique.

Son comportement m'exaspère mais je tente de rester calme.

« Non. Et je n'ai jamais dit le contraire. »

Quelques amis de Valentin s'approchent de nous, vaguement, restant assez distants. Sentant que la tension monte, Adel se tourne vers moi.

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