Partie d'Antigone - Chapitre 2

59 2 1
                                    

[TW harcèlement] [TW violence physique] [TW agression sexuelle] [TW envies suicidaires]


21 septembre


J'ai vraiment arrêté la boxe. Ça m'apaise et ça m'attriste. J'ai beau savoir que c'est mieux pour moi, ça reste difficile d'abandonner. J'ai l'impression que si j'étais assez forte, je pourrais continuer. Je me trouve faible et peureuse. Je ne m'aime pas beaucoup.

Je suis remplie de haine. Pour moi surtout et pour quelques autres personnes. Je suis indifférente au monde. Je suis terrorisée à l'idée d'être incapable d'aimer.

Je voudrais que tout s'arrange, mais je suis perdue. Tout est flou tout est confus. J'ai arrêté la boxe, et je voudrais que ça mette fin à tout. Comme après l'accident de voiture, quand les jours suivants je me disais qu'il fallait que je renonce au suicide puisque ça ne pouvait qu'aller mieux. J'y songe à nouveau, j'y songe avec toute la délicatesse d'une mélancolique. Au fur et à mesure que les jours passent je me rends compte que ça n'était qu'une chimère. Je souffre toujours. Mon désespérant et désespéré désir de mourir ne passe pas avec le temps. Il fait partie de moi depuis trop longtemps. Cela fait deux fois que j'essaie de me tuer, peut-être qu'avoir envie ne suffit pas. Peut-être qu'il faut autre chose, de plus puissant encore. Peut-être qu'il faut l'absence de Hémon.

(l'absence de Hémon, l'absence de Hémon dans la voiture la salle de bain les locaux du cours de boxe)


22 septembre


Il faut que je sois patiente. Les pensées suicidaires ne s'évaporeront pas si facilement. C'est une évidence difficile à accepter. Je veux mourir encore, mais peut-être plus pour longtemps. Ça ira mieux. J'ai arrêté la boxe. Ça ne peut qu'aller mieux.

Je n'aime pas beaucoup vivre.


23 septembre


Je ne m'aime pas beaucoup non plus. J'ai tendance à le répéter peut-être.

Ce matin pourtant il s'est passé quelque chose d'étrange. Je m'observais avec dégoût dans le miroir, je méprisais mon corps en tordant ma peau sous mes doigts, en inspectant mes yeux ou mon nez. La lumière trop blanche m'enlaidissait plus que d'habitude. Mon reflet sans blessures m'a soudain rendu mon regard avec plus d'intensité que d'habitude. Je me suis immobilisée. Il m'observait incontestablement. Cependant il n'était plus mon exact reflet. Quelque chose différait. À part ces affreuses douleurs invisibles qu'il ne connaissait pas et qui ne l'affectaient pas, à part ce deuil qu'il n'avait pas à faire, il émanait de lui quelque chose qui n'émanait pas de moi. La serviette dans laquelle je m'étais enroulée est tombée au sol et le froissement m'a tirée de ma rêverie. Je me suis arrachée au miroir. Mon reflet a perdu cette brillance. Je suis descendue plus vite que d'habitude à la cuisine.


24 septembre


Je suis seule au lycée, mais en épiant les gens autour de moi je surprends les regards intrigués ou timides d'Isidore parmi les yeux moqueurs. Ça me fait sourire. Dans cette classe je peux décider de quelles pupilles se posent sur moi, et je choisis chaque jour le regard d'Isidore. Je n'ai pas besoin de me torturer avec leur mépris que je méprise. Ils ne me haïssent pas comme on a pu me haïr. Ils ne me torturent pas comme on a pu me torturer. À vrai dire, ils sont si tendres. Ils ignorent comment me faire du mal. Ils pensent que m'appeler Boygirl est dégradant. On me nomme systématiquement ainsi maintenant. Boygirl c'est le plus joli prénom du monde, mais ils ne le comprennent pas parce qu'à leurs yeux c'est laid. Ils me font souffrir en partant de ce qui, eux, les ferait souffrir. Ils n'envisagent pas la possibilité que l'isolement, leur mépris, leur violence verbale ou physique, ne m'atteignent pas. Ils ne savent pas assez de choses sur moi, ils ne m'ont pas traquée comme une bête afin de me connaître, ils ne m'ont pas approchée avec toute la douceur du monde pour ensuite me dépecer. Ils voudraient me traiter comme une chienne mais ils me traitent comme une louve. Ils font partie de ces gens chanceux qui, parce qu'ils ignorent tout des blessures invisibles, ne savent pas les infliger. C'est reposant de ne recevoir que des coups et des insultes auxquelles je ne peux croire car elles sont insipides.

BoygirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant