Partie d'Isidore - Chapitre 10

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[TW harcèlement] [TW violence physique]


Je sors du lycée en pensant à Boygirl que je vais retrouver et qui me dira enfin ce qu'elle m'a laissé pour ne plus avoir peur. Je suis terrorisé dans la lumière dorée du soleil couchant, j'espère marcher assez vite pour qu'ils ne me rattrapent pas. Ils m'ont encore fait tomber au self, et ils lui ont lancé un regard menaçant quand il a voulu manger avec moi. Je lui avais dit que ce n'était pas grave si j'étais seul, et il n'avait même pas répondu, seulement un regard au ciel et un sourire. Ils m'ont un peu insulté mais à ce moment-là ça n'était pas l'important, à ce moment-là j'avais moins peur puisqu'il était assis en face de moi. Maintenant je retourne à mon isolement ; l'après-midi se termine et je pense aux bleus qui s'épanouiront sur ma peau demain. J'atteins le portail avec soulagement, quand j'entends quelqu'un crier mon prénom. C'est Valentin. Je me fige. J'aimerais sortir mais je suis paralysé. Il me rejoint, il est entouré et inévitablement je suis seul. Il y a Amélie parmi eux, elle rit un peu avec la légèreté qui lui est propre. Valentin pose une main sur mon épaule et me tire en arrière. Je vacille. Mon sac tombe et m'emporte avec lui : statufié je manque de me faire entraîner par son poids. Ils avancent et me repoussent contre le mur d'un bâtiment. Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit si proche, je heurte un peu brutalement le béton. Valentin donne un coup de pied dans mes affaires et y laisse une trace poussiéreuse. Les cahiers colorés s'éparpillent comme des fleurs sur le sol stérile. J'ose à peine protester : j'ouvre la bouche et leurs yeux terreux la referment. Je me tais puisqu'il n'y a rien d'autre à faire. C'est l'un de ces rêves où l'on s'efforce de crier sans y parvenir. Ils rient en me voyant si docile. Charles fait une réflexion sur ma sexualité, la ponctue d'un (.), j'ai envie de me boucher les oreilles j'ai envie de pleurer j'ai envie de fuir mais ils sont en demi-cercle autour de moi à m'en empêcher. J'ai l'impression d'être dans un cauchemar, abandonné de tous et incapable de me réveiller. C'est réel et je ne peux ni ne veux m'en persuader. La douleur n'en sera que moins forte. Charles me frappe dans le ventre et je tombe à genoux. Je me souviens de Boygirl, Boygirl placide qui restait debout plus longtemps, qui avait besoin de plusieurs coups pour perdre l'équilibre. Je me souviens de sa haute silhouette qui semblait plutôt s'asseoir que chuter, elle ne donnait jamais l'impression de perdre le contrôle. Elle était dans la constante provocation et ça la protégeait de quelque chose. De quelque chose, je ne sais pas quoi, de quelque chose. Moi je suis à nu. Moi je suis faible, moi je suis insignifiant, moi je suis juste à mettre entre parenthèses. J'entends Amélie dire : « Doucement, quand même. » et se disputer un peu avec Valentin. Puis déclarer qu'elle ne veut pas faire partie de ça, et s'en aller. Ses semelles crissent sur le gravier alors qu'elle me laisse entre des mains hideuses. J'ai envie de m'époumoner, de l'appeler et de la retenir, de lui hurler Amélie ne me laisse pas là avec eux ils vont me faire du mal et j'ai peur. Mais ce coup juste sous mon diaphragme crève mon cri. Je reprends mon souffle trop lentement, quand je peux enfin respirer elle est déjà loin. Je lève alors les yeux sur Valentin, qui lance qu'il vaut mieux éviter le visage parce qu'il y a eu trop de questions et que je ne sais pas mentir. Il brandit son poing et je me recroqueville en espérant que ça passera, que tout ira mieux après, et que peut-être Boygirl se recroquevillait-elle parfois aussi devant ce qui la terrorisait. Peut-être lui ressemblé-je un peu finalement, peut-être n'avons-nous que des peurs différentes.

En arrivant au cimetière je croise une fille qui a pleuré, et ça me rend triste. L'idée me traverse qu'elle est peut-être venue pour Boygirl, que c'est elle la mystérieuse qui fleurit sa tombe. Je me retourne un instant vers elle puis le portail grince et me fait sursauter, je me presse pour entrer avant qu'il ne se referme. Le jour qui ne cesse de décroître embellit les ombres. Je parcours les allées sablées sans vraiment prêter attention aux couronnes de fleurs et aux chrysanthèmes qui peuplent les sépultures. Je m'arrête devant celle de Boygirl. Deux nouvelles roses, identiques aux autres duos, m'attendaient. Leur parfum est plus prégnant que d'habitude, sans que je ne parvienne à dire pourquoi. Je m'adresse à Boygirl en m'asseyant, comme s'il était normal que je sois dans ce cimetière à parler à un cadavre :

BoygirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant