Partie d'Antigone - Chapitre 7

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10 novembre


Ç'a été un peu trop éprouvant d'écrire dans ce journal ces derniers jours, j'ai préféré ne pas essayer. Mais ce soir, je me suis disputé avec Agnès. Elle m'a demandé à nouveau si je fleurissais bien la tombe de Hémon, avec un léger doute dans la voix. Elle s'est recroquevillée sur elle-même quand elle a vu l'expression qu'elle venait de peindre sur mon visage. J'ai lentement repoussé mon assiette. La faim m'a quitté sans que je sois rassasié. J'ai questionné à mon tour.

« Tu n'as pas confiance ? »

Elle a protesté, mais c'était inaudible.

« Si tu n'as pas confiance, tu peux le faire toi-même. »

C'était dur de lui asséner ça. Je le savais pertinemment, mais la colère commençait à se répandre en moi.

« Tu sais bien que je n'en suis pas capable. », a-t-elle chuchoté.

Je n'ai pas réagi. J'ai continué :

« Je la fleuris presque tous les jours, sa tombe. Des fleurs que tu voulais. Je fais tout ce que tu m'as demandé. Je le fais. »

C'était un mensonge éhonté, dont je m'étais à moitié convaincu pour paraître plus sincère. Je sentais une rage intense vibrer autour de moi pour que je ne pleure pas. Agnès a lentement hoché la tête. Puis elle a passé une main éreintée sur ses traits comme pour les effacer.

« Je suis fière de toi, tu es forte. Plus que moi », a-t-elle murmuré.

J'ai levé les yeux au ciel. Non Antigone n'est pas forte. Antigone est brisé, maman. Antigone est cassé. Elle a essuyé une larme au coin de ses yeux ridés.

« Je t'accompagnerais peut-être un jour. Quand je serais moins fatiguée. »

Je savais déjà qu'elle ne tiendrait pas cet engagement. Elle a repris :

« Il ne te manque pas, toi ? »

J'ai hésité entre exploser et ironiser, et j'ai choisi de maîtriser la violence qui pourrissait en moi. J'ai déclaré avec un sourire mielleux :

« Non, puisque je vais le voir tous les jours. »

Je me suis levé alors qu'elle parlait de son fils, je l'ai coupée :

« Je ne comprends pas comment tu peux avoir peur que je ne fleurisse pas sa tombe. Hémon est mon frère, maman. »

Avec toujours ce délicieux cynisme sur le bout de la langue qui m'empêchait de gifler Agnès et de m'ouvrir les veines dans le même mouvement.


Je suis plus calme dans ma chambre. Il y a moins de choses ici qui exacerbent ma haine. Il y a moins de choses qui me hurlent que je devrais être attristée par la mort de Hémon. Il y a moins de fausses mères.


Hémon se moque bien que je fleurisse sa sépulture. Si je le faisais il se moquerait de moi, il m'arracherait les roses de sa main squelettique en m'ordonnant de m'agenouiller devant sa tombe. Il aurait ce délicat sourire que je hais, aussi tendre qu'un pétale et plus indestructible. J'ai tout essayé pour le retirer de son visage de son vivant, mais je n'ai jamais réussi. Il l'a encore dans son cercueil, c'est une certitude. C'est un sourire qui ne mérite pas d'être fleuri.


J'ai un sourire cynique et il en a un autre empreint d'une expression que je ne peux décrire.

BoygirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant