8 octobre
Aujourd'hui était une journée qui me sauve un peu, qui me donne l'énergie d'aller me coucher au lieu d'aller me tuer. Je vais dormir sans espérer mourir dans mon sommeil.
Ma mère était absente à neuf heures, c'est pour éviter ses questions intrusives que j'avais demandé à Claire de passer à ce moment. Quand elle a sonné j'ai eu du mal à y croire. Je me suis précipitée pour lui ouvrir. Dans le vent d'automne elle resplendissait. Elle était décoiffée et radieuse. Je me suis sentie heureuse un court instant rien qu'en la voyant. Je ne sais pas pourquoi elle était incroyablement belle. J'ai attrapé une veste et je suis sortie. Quand j'ai respiré, j'étais libre. De mes épaules un poids s'est envolé, et j'ai conduit Claire dans les ruines.
Les ruines c'est un sanctuaire – tout devrait être un sanctuaire pour que personne ne puisse entrer nulle part. C'est un refuge encore. Il y a quelques siècles c'était une église. Je m'y sens étrangement bien, étrangement à ma place. C'est un lieu qui me prend dans ses bras. Peut-être parce que j'y ai toujours été joliment seule, il n'est associé à aucune souffrance. Il apaise la mienne. C'est pour ça que je voulais que Claire connaisse ce sanctuaire : pour la rencontre entre elle et les ruines. Je me demandais si elle saurait, si elle sentirait elle aussi ce lien ténu entre elle et les pierres. C'est un lieu qui me prend dans ses bras comme j'aimerais que Claire me prenne dans ses bras.
Quand nous y sommes arrivées, elle a écarquillé les yeux et ne les a plus fermés. Elle tournait sur elle-même tout en avançant, sans faire attention, elle a failli tomber plusieurs fois et je l'ai retenue. Ça la faisait rire, ça ne l'empêchait pas de dévorer l'église du regard. Les hautes herbes enlaçaient ses jambes, les ruines l'enveloppaient comme elles le faisaient pour moi. Elles ont accueillie Claire avec une facilité déconcertante. J'ai compris, en voyant Claire si belle dans ce lieu, que le sanctuaire était devenu notre sanctuaire. Ce lieu était devenu notre lieu. Il nous appartenait comme nous lui appartenions. Le soleil n'a fait que renforcer ce sentiment quand il s'est dévoilé, auréolant Claire d'une lumière nacrée.
Nous nous sommes assises dans ce qui a dû être la nef. Claire me surplombait parce qu'elle était installée sur une pierre. Nous ne parlions pas : nous étions trop occupées à contempler le balancement des herbes élancées, l'évaporation des dernières gouttes de rosée, les pierres vieillies mais éclatantes dans ce jour d'automne étonnamment ensoleillé. Une voûte qui résistait au temps et que chaque jour je craignais de voir s'écrouler, nous dominait. Parfois je levais les yeux sur Claire, parfois Claire les baissait sur moi, peut-être pas tout à fait en même temps, et nous nous en amusions silencieusement. L'atmosphère apparemment calme vibrait de nos deux corps vivants – le mien, pour la première fois depuis longtemps. Quand nous nous sommes lassées de notre immobilité, je lui ai fait faire le tour de l'ancienne église. Son émerveillement était presque contagieux, alors que je connaissais déjà ces ruines je les redécouvrais à travers ses yeux. Elle tournoyait sur elle-même pour aspirer le paysage. Dans notre euphorie j'ai failli lui tendre la main à un moment, par réflexe, par instinct, mais je me suis souvenue à temps qu'il ne fallait pas détruire cette relation par un sentiment un peu trop fort. Je l'ai conduite près des restes d'un mur, et nous nous sommes hissées sur les pierres en laissant nos jambes pendre au-dessus du sol sans l'atteindre. J'aurais pu rire de nos deux mains côtes à côtes qui n'osaient se toucher, mais étaient les plus proches possibles l'une de l'autre. Nous avons parlé longtemps. C'est quand la lumière a décliné que nous nous sommes tues, car nous savions que la prochaine chose à dire était : « Il va falloir rentrer. » Ni Claire ni moi n'avions envie de prononcer cette phrase. Notre mutisme ne nous dérangeait pas, mais il s'éternisait. Soudain j'ai eu envie de lui révéler mon prénom. De lui dire, en me tournant vers elle avec un sourire plus franc que d'habitude :
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Boygirl
Mystery / ThrillerBoygirl s'est suicidée en se jetant dans la Seine. Tout le monde savait qui elle était, mais personne ne la connaissait vraiment. Un ancien camarade de classe, sa petite amie, et sa mère, vont s'unir pour tenter de percer les mystères qui l'entourai...