Partie de Claire - Chapitre 8

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[TW violence physique] [TW harcèlement] [TW cadavre]


Adel sourit en même temps qu'il pleure, et je tiens son poing entre mes mains pour qu'il ne l'écrase pas contre les pavés dans un geste furieux. Il se déteste parce que le garçon au téléphone souffre, et que le garçon au téléphone est une trop belle personne pour avoir si mal. Il se déteste parce qu'il est peut-être amoureux.

« Je ne fais rien. Je ne fais rien pour les empêcher de le frapper ou de l'insulter. Je ne fais rien. »

J'acquiesce. Je ne faisais rien non plus, elle me l'interdisait. Elle me disait de ne pas intervenir quand ils la lynchaient. Elle ne m'a jamais expliqué pourquoi mais je sentais qu'elle pensait que c'était justifié. Je n'ai jamais pu la faire changer d'avis.

« Je ne sais pas pourquoi je n'y arrive pas. Je crois que j'ai peur. »

Il me regarde un peu perdu. Il y a une lumière confuse sur son visage.

« J'ai toujours trouvé Boygirl courageuse. »

Je hausse les épaules et déclare avec un certain mépris :

« Pas tant que ça, elle s'est suicidée. »

Il songe.

« Je ne suis pas sûr que c'était de la peur. »

Puis :

« Elle a laissé un mot ? Une lettre ? »

Je demande pourquoi.

« On a tous envie de savoir pourquoi elle est morte, non ? Pas toi ? »

Un frisson me parcourt. Je suis certaine que derrière moi Antigone déroule son cadavre.

« J'aimerais bien. »

J'aimerais bien feindre un peu d'indifférence pour elle, mais j'en suis incapable. Une main sans peau agrippe mon épaule tandis qu'un souffle effleure ma mâchoire.

« Elle a sûrement laissé quelque chose à sa mère au moins. Peut-être pas de manière évidente, parce que c'est Boygirl, mais c'est certain. »

Des doigts se mêlent à mes cheveux, se posant comme des serres sur le haut de mon crâne. Je frémis.

« Elle n'a rien laissé à personne. Aucune lettre. Sinon j'en aurais eu une. »

C'est du moins ce dont j'essaie de me persuader.

« Peut-être qu'elle a eu peur que sa mère la lise alors ? Qu'elle te l'a laissée ailleurs ? »

Dans les yeux d'Adel éclosent des roses. Il me dévisage et son dos se pare de deux ailes florales. Il passe une main délicate sur son visage pour en chasser les dernières traces de larmes. Je hoche lentement la tête. Il me faut reprendre mon pèlerinage. Peut-être trouverai-je alors cet adieu dont j'ai terriblement besoin. Je laisse passer un long silence, qu'Adel finit par briser, préoccupé.

« Plus je suis lâche plus on s'éloigne. Plus je le regarde prendre des coups plus il me fuit. », soupire-t-il.

Je ne quitte pas le regarde d'Adel en disant :

« Agis. Empêche-les de lui faire du mal. Agis Adel, si tu tiens tant à ce garçon. »

Mes mots paraissent le faire réfléchir. J'ai toujours regretté de n'avoir pu aider Antigone, de n'avoir pu la sauver et aujourd'hui encore cela me poursuit. Son cadavre m'enlace et murmure que ça n'est pas grave, que maintenant qu'elle est morte les bleus ne se voient plus. Elle m'avait interdit d'intervenir. Adel me sourit doucement. Nous nous levons. Nous venons tous les deux de prendre une décision. Il y a des roses roses et blanches là où nous étions assis, c'est peut-être une tombe. Antigone s'y étend et se perd dans les fleurs. Pas là, mais là sous le tilleul c'est toujours mieux qu'au cimetière, me dit-elle de ses grandes orbites vides.

BoygirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant