17 octobre
Il s'est passé quelque chose de si incroyable que je tremble. Étrangement ce sont des spasmes indolores.
Je suis retournée dans les locaux de boxe. Peut-être par nostalgie malsaine, peut-être par intuition. Je suis entrée dans les vestiaires des filles alors qu'il n'y avait plus personne. Les néons bleutés y dispensaient alors leur halo polaire. Le carrelage blanc s'en trouvait légèrement azuré, tout comme ma peau, tout comme les bancs, tout comme l'oxygène que je peinais à respirer. Revenir dans ces vestiaires était douloureux. Je ne sais pas vraiment pourquoi je me le suis imposé.
(je sais pertinemment pourquoi je m'impose ces retours aux vestiaires)
(dans les locaux de boxe)
(je crie)
(je reste ici)
(et je laisse les reflets m'absorber)
Le long des murs courent une bande de miroir large d'un peu moins d'un mètre peut-être mais ça n'est pas l'important. L'important c'est que j'y ai croisé mes yeux. Mes yeux un peu plus vides. J'ai sursauté. J'ai dévisagé mon reflet. Il était toujours aussi neutre. Il était toujours aussi étranger à ma douleur profonde. J'aurais pu pleurer sans qu'aucune larme ne dévale sa joue. Je me suis assise là où je m'asseyais quelques mois auparavant. Je me suis sentie inévitablement à ma place, mais d'une manière différente des ruines, d'une manière répugnante. J'aurais voulu me relever précipitamment mais je ne l'ai pas fait. J'ai continué à fixer mon reflet. Il restait immobile. Il avait cette expression rassurante à laquelle je m'étais toujours raccrochée.
(regarde Antigone il ne souffre pas alors tu ne souffres pas tant)
(porte ce masque de pierre)
(ce masque de verre)
J'ai déclaré à voix haute en cœur avec moi-même :
« Je suis dans le vestiaire des filles. »
J'ai acquiescé ensuite. Ça sonnait étrangement. J'ai levé la main vers mon visage et j'ai effleuré ma mâchoire. Je n'étais pas une fille. J'ai voulu me lever pour aller dans le vestiaire des garçons, mais mes jambes ne me portaient plus, parce que ça n'était pas nécessaire. Ce qui se trouvait dans le miroir n'était pas qu'une femme, pas qu'un homme. C'était toi. C'était moi. Je ne pouvais plus me quitter des yeux, je me fixais avec une curiosité avide. Pour la première fois mon reflet trahissait une émotion. Il me rendait mon regard, il penchait légèrement la tête et prononçait avec moi : « Je m'appelle Antigone. » Perturbée je me suis rapprochée plus que de raison, j'ai avancé ma main vers la glace. Je me suis figée juste avant de toucher la surface lisse. Mon reflet a crispé ses doigts en même temps que moi. Nos yeux brûlaient. Nos yeux brûlaient en comprenant. Je n'avais pas à choisir. J'étais libre, profondément libre, enfin libre. Dans les miroirs tout est possible. Guidée par quelque chose de plus fort je me suis rassise sur le banc, à la place même que j'avais toujours occupée. La souffrance que cela aurait pu provoquer s'évaporait autour de moi sous la chaleur bleue des néons. Il n'y avait que mon visage dans le miroir en face de moi, mais c'était suffisant pour savoir. Dans les miroirs je peux être une femme et un homme. C'était d'une facilité déconcertante, de poser sur moi ce regard universel. Je me rencontrais enfin. Après m'être perdue, après avoir été séparée de moi-même, je me retrouvais. Je me découvrais avec une puissance extrême, une intensité à en faire s'effondrer les vestiaires. J'avais l'impression de m'étreindre moi-même, toute entière et tout entier. Me prendre dans mes bras sans rien exclure de moi, sans me laisser toute seule, sans me repousser. Pendant une seconde je me suis aimé. Puis aimée : et aimée. L'instant qui a suivi, une voix épaisse et tiède a frôlé mon oreille :
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Boygirl
Mistério / SuspenseBoygirl s'est suicidée en se jetant dans la Seine. Tout le monde savait qui elle était, mais personne ne la connaissait vraiment. Un ancien camarade de classe, sa petite amie, et sa mère, vont s'unir pour tenter de percer les mystères qui l'entourai...