Lone Wolf (Tome 1 & 2)

IX

- Qu... Quoi ?
- Ok, ok... Vous me faite une blague avec Kyle, c'est ça ? Depuis tout ce temps en fait, tu n'étais pas morte ?

Je ne comprends absolument rien à ce qu'il dit et ça commence à m'agacer. Alors je fais la seule chose qui me vient en tête : je lui envoie un coup de poing en pleine figure. Je regrette immédiatement mon geste lorsque je remarque qu'il est dans les vappes.

Je soupire en me massant le poignet et sorts de la pièce sans un bruit. Je retrouve Aaron en dehors du bâtiment.

- Alors ?
-Vous l'avez trop amoché, au premier coup de poing il est parti dans le monde des rêves.

Il hausse les épaules et propose qu'on lui laisse jusqu'au lendemain pour se remettre de ses émotions. Aaron cherche à ouvrir le dialogue avec moi, mais je coupe court à ses intentions en lui disant que je n'ai pas le temps de rester bavarder avec lui. Il m'offre un regard suspicieux.

- Si c'est en rapport avec hier...

- Non, cela n'a rien à voir avec toi. Je ne m'en suis pas formalisée et ça a tellement peu d'importance pour moi que j'ai déjà tout oublié. Faisons comme ça, d'accord ?

Je n'arrive pas à déterminer s'il est blessé, car Aaron a toujours été quelqu'un de très fermé au monde extérieur. On ne peut jamais savoir ce qu'il pense, c'est d'ailleurs pour cela que je ne m'attendais absolument pas à ce qu'il soit intéressé par moi. Dans tous les cas, il finit par hocher la tête, mettant fin à un malaise mal venu.

Je pars la première et arrive au bout d'une bonne vingtaine de minutes chez moi. Eva est dans le salon, habillée et maquillée. Je dois avouer que je jalouse un peu sa beauté. Pourquoi est-ce que mes cheveux ne sont pas raides comme les siens ? Je dois passer des heures à les brosser, pour finalement abandonner et les attacher en une queue de cheval. La queue de cheval de la défaite, la fameuse.

- Tu es rentrée plus tôt que prévu, m'accueille ma nouvelle amie avec un sourire.

Son téléphone portable sonne. Elle observe le nom inscrit sur l'écran avant de rejeter l'appel. Son visage exprime une tristesse soudaine et j'imagine sans peine que ce doit être l'homme qui l'a largué.

- C'est lui ? Je demande.

Elle sursaute, range son téléphone dans la poche de son jean et hoche la tête.

- Oui, c'est lui.
- Tu ne veux pas savoir ce qu'il a à te dire ? Peut-être qu'il regrette et veut que tu reviennes.

Elle lève les yeux au ciel et prend son sac à main posé à côté du canapé.

- J'en doute fort, crois-moi. Tout ce qui sort de sa bouche est un poison, au final.

Cela conclut notre conversation et nous prenons ma voiture pour aller au centre commercial. Eva est une pile électrique qui ne s'arrête jamais. Une pile rechargeable pour chaque dollar qu'elle dépense. J'hallucine à chaque fois qu'elle passe en caisse.

- Comment fais-tu pour ne pas avoir mal coeur en dépensant autant ? Je lui demande finalement lorsque nous sortons de la quatrième boutique de vêtement.
- C'est simple, cet argent ne m'appartient pas, c'est à lui.

Son air satisfait me fais rire. J'attrape alors la carte de crédit de sa main et l'entraine vers un magasin de chaussure hors de prix.

- Une petite vengeance, hein ? Laisse-moi t'aider alors. Faisons lui regretter ses paroles blessantes à ce serpent.

L'après-midi se passe rapidement. Aider Eva à vider la carte de crédit de son ex est une excuse pour ne pas penser au loup de ce matin et à ses paroles. J'ai peur de comprendre, je n'ai pas envie de comprendre, alors je profite du moment. Pour une fois que je n'ai pas à jouer un rôle, ou presque.

Ma situation me convient, car lors de mon accident, des gens mal intentionnés auraient pu me trouver et qui sait où je serais en ce moment... Mais me battre chaque jour contre des loup-garous n'a -très certainement- jamais fait parti de mes choix d'orientation.

J'ai parfois l'impression d'être à part, hors du temps. Entre ce travail, ces secrets que contient mon passé et cette douleur qui me visite chaque nuit. Non, vraiment, je ne sais même pas pourquoi je continue à faire tout ça. Je pourrais partir, tout quitter et... pour aller où ? Pour faire quoi ? Je chasse cette idée de mon esprit tandis qu'Eva dépose les derniers paquets dans le coffre.

- Où allons-nous ce soir ? Demande-t-elle en s'installant sur le siège passager.

Je fais vrombir le moteur et me dirige vers mon appartement.

- Tu n'es pas fatiguée ?

Eva pouffe en secouant la tête.

- Jamais ! Que dirais-tu d'aller boire un verre ? Le soleil est déjà couché... punaise, on a vraiment pas arrêté. Il va me tuer...

Je comprends qu'elle fait référence à son ex et aux sommes exorbitantes qu'elle a dépensé sans son accord.

- Oh, tu sais, avant qu'il te retrouve, tu as le temps... Je tente de la rassurer.

Un petit sourire naît sur ses lèvres et sa joie de vivre revient au galop. Seigneur, cette fille va me tuer un jour où l'autre...

Après avoir déposé ses affaires chez moi, nous nous dirigeons au bar devant lequel nous nous sommes rencontrées, Eva a insisté. Sachant pertinemment que des métamorphes y viennent, je me suis armée d'une dague en argent.

Le bar est bondé à cette heure et je suis encore plus sur mes gardes. Je ne souhaite absolument pas qu'Eva se fasse attaquer par ces monstres.

Eva... Amie...

La voix dans ma tête est revenue plus rapidement que je ne le pensais. Je suis surprise et inquiète. Si le médicament de la psy fait de moins en moins d'effet, que va-t-il m'arriver ? Vont-ils m'envoyer dans un hôpital psychiatrique, me considérant inapte à mon travail ?

- Ça va ? Tu es toute pâle.

La voix d'Eva me fait redescendre sur terre. Je pose ma tête sur la table gelée. Je dois ressembler à une folle, ça y est, ils vont venir me chercher et m'enfermer...

- Je réfléchis, c'est tout.

- Ah. Tu réfléchis d'une manière étrange, dis-moi. Allez, raconte-moi.

J'observe cette fille que je connais à peine et me demande pourquoi j'ai l'impression de la connaître depuis toujours.

- Ok, à une condition. Je veux en savoir plus sur toi.

Je la sens se refermer sur elle-même et me dis qu'elle n'est pas prête à se confier, tout comme moi je ne le suis pas envers elle. Mais contre toute attente, elle capitule.

- Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a à raconter, en vérité. J'ai eu une vie des plus normales, je pense.

J'hausse les épaules avec un sourire encourageant.

- La normalité diffère pour chacun. Alors soit, raconte-moi ta normalité.
- Je vivais dans un tout petit village où... tout le monde se connaît très bien. C'est un peu comme... une grande famille, voilà.

Elle allait continuer son histoire, mais elle se fige tout à coup. Un étrange sentiment s'empare de mon être et la voix dans ma tête devient hystérique.

Moi ! .... Kyle ! ... Mien !

Je suis le regard de mon amie et croise les pupilles envoûtantes d'un homme à l'entrée du bar. Ses yeux d'un bleu si clair et si beau me captivent et le rythme de mon coeur s'accélère. Cet homme est si beau et si triste que j'en ai envie de pleurer. Ses cheveux sombres sont envoyés en arrière, dégageant un visage si séduisant que ça devrait être interdit.

Son expression semble horrifiée et je me sens un peu vexée. Il semble vouloir me rejoindre, car ses yeux ne me quittent pas. Ces yeux qui semblent se remplir de larmes. Je sens Eva se lever et se diriger vers lui. Je suis tellement ensorcelée que je n'arrive pas à faire le moindre geste.

Eva attrape sa main tremblante et le tire hors du bar. Il n'a pas un seul regard pour elle et ne semble pas décidé à couper le contact visuel avec moi. Et c'est seulement lorsqu'il disparaît hors de ma vue, à l'extérieur du bar, que des larmes instoppables se mettent à couler.