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Etrangement, je me sens comme hors du temps. Mes mouvements sont machinals : serrer mes parents dans mes bras, leur promettre de les contacter aussi souvent que possible, être ignorée par le loup solitaire qui semble s'impatienter. Puis, ma main qui empoigne fermement ma valise et la fait rouler joyeusement derrière moi. Ce n'est pas la première fois que j'ai à faire ces choses, c'est peut-être la raison pour laquelle c'est plus facile.

Nous empruntons le chemin jusqu'à la petite clairière où nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Je m'arrête un instant, observant les lieux qui m'entourent, si banals et pourtant si importants à mes yeux. Le loup solitaire ne fait pas attention à moi et continu d'avancer sans un mot. Son attitude lunatique envers moi me fait soupirer.

Je le suis et lorsque je franchis les limites du territoire de ma famille, une étrange sensation m'envahit, la certitude que je ne reviendrais jamais. Ma gorge se noue et mes yeux, ainsi que mon nez picotent, signe que je vais pleurer.

Le loup solitaire doit le sentir, car il s'arrête à son tour, se retourne et croise les bras. Son magnifique visage est froid, tendu, comme si quelque chose le chiffonne. Et je pense que cette chose, c'est moi. Malgré le fait qu'il ait accepté que je vienne avec lui, il ne l'a pas fait avec le sourire.

- Tu peux toujours partir, si tu veux.

Sa voix grave claque dans l'air. Son visage exprime un instant une émotion que je n'arrive pas à interpréter avant de redevenir impassible, comme à son habitude. Ses paroles me donnent la nausée, je serre les dents et relève la tête. Je ne lui donnerais pas le plaisir de me voir flancher. Il hausse les épaules, puis reprend sa marche. Je me précipite à ses côtés, traînant ma lourde valise derrière moi.

- Où va-t-on ? Je demande. As-tu un endroit où tu... enfin... où tu dors ?

Il me lance un regard accusateur en biais, qui me foudroie sur place.

- Es-tu en train d'insinuer que je suis un SDF ?

Sa question me prend au dépourvue, je détourne le regard, mal à l'aise.

- Non, je veux juste...

- C'est bon, je te taquine.

J'observe son visage impassible et je ne peux m'empêcher d'en douter. Nous avançons lentement à cause de la lourde valise qui me fait penser à un poids que je porte, incapable de m'en séparer. Le loup solitaire reste aussi silencieux qu'une tombe, mais ça me va. Après tout, je ne saurais quoi lui dire. C'est étrange comme sentiment, de ne pas savoir quoi dire et en même temps de vouloir qu'il sache tout sur moi.

- Je ne vais pas te laisser dormir à la belle étoile, si c'est ce qui t'inquiète.

Même si je ne le montre pas, ses paroles me rassurent. Très sincèrement, vivre en pleine forêt, dormir dans l'herbe humide, sur un sol inégal, inconfortable, très peu pour moi. Et puis, on se nourrirait de quoi ? De plantes et d'animaux cuits sur le feu ? Non merci. Ça a l'air sympa pour une virée camping-survie, mais je ne suis pas du tout intéressée pour vivre de cette manière. Notre partie animale n'est pas autant présente, il ne faut pas abuser. Nous sommes des humains avant tout.

- Alors, où va-t-on ? J'insiste.

S'il avait été un loup quelconque et non pas mon âme-soeur, je n'aurais pas remarqué son changement d'expression, ni ses pas qui ralentissent légèrement durant quelques secondes avant de reprendre une allure normale.

- Chez moi, répond-il simplement.

- Et c'est encore loin ?

Je me mords la langue, surprise face à mon insistance de le faire parler. D'habitude, je suis plutôt muette et il faut me tirer les vers du nez. Mais en sa présence, ma bouche ne peut s'empêcher de parler, ignorant les ordres censés de mon cerveau lui sommant de se taire.

- Oui, Hailey. Ce n'est pas à côté.

Mon prénom dans sa bouche est sensationnel, comme une prière capable d'être entendue par la Déesse. Sa voix grave me donne la chair de poule. Cette dernière est d'autant plus visible à cause de mon top qui ne couvre pas mes bras. Le soleil qui parvient à filtrer parmi l'épais feuillage des arbres est si chaud qu'il me paraît insupportable. Heureusement que la forêt est assez dense pour nous protéger, sinon, je pense que l'on crâmerait sur place.

Au bout d'une demi-heure, je commence à être essoufflée. Mon bras est engourdi et je peine à tirer cette fichue valise. Le loup solitaire me jette un coup d'oeil avant de soupirer. Il prend alors ma valise d'un geste souple en marmonnant :

- T'es vraiment comme une princesse.

Je me fige, choquée. Ses paroles et surtout ce surnom me font penser à Alexandra. Elle doit être bien contente de la tournure des choses. Je ne suis plus un obstacle, elle peut avoir l'Alpha Daniel et son cerveau détraqué si elle le souhaite, je ne suis pas intéressée.

Je remarque que le loup solitaire ne m'a pas attendu et se trouve plusieurs mètres devant moi. Le contraire m'aurait étonné. Je souffle et trottine jusqu'à lui. Ma valise rose le suit joyeusement sans paraître peser une tonne. Traîtresse.

- Tu as dit que j'étais comme une princesse, c'est parce que je suis jolie ?

Il lève les yeux au ciel, signe annonciateur que la réponse ne va pas me plaire.

- Non. C'est parce que tu ne sais rien faire par toi-même.

Nous continuons notre ascension, lui, satisfait de sa répartie, et moi, fulminant contre sa méchanceté. Une quinzaine de minutes plus tard, nous nous retrouvons pas loin de la route. Je peux apercevoir le goudron brûlant à la lumière du soleil. Le loup solitaire observe les alentours, silencieux.

- Quoi ? On va faire du stop ? Je demande, surprise.

Cette idée m'effraie un peu. Je n'ai jamais côtoyé d'humains. Et s'ils se rendent compte que je suis un loup-garou ? Oh non, non, c'est trop dangereux ! Le loup solitaire ne me répond pas et enlève avec empressement un tas anormalement gros de feuillage accroché à un buisson. Il tire d'un geste vif, dévoilant une vieille moto noire. Attendez, il n'est pas sérieux ?   

Lone Wolf (Tome 1 & 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant