Lone Wolf (Tome 1 & 2)

XXIV

Je n'ai pas, mais alors vraiment pas envie de sortir du lit. Ce qui s'est passé la veille était si parfait, si... tout, que j'ai peur que ce ne soit qu'un mauvais rêve. Avant mes vingt ans, je pensais que la vie était simple, que tout était tracé par la Déesse et j'y croyais dur comme fer. Mais, depuis mon anniversaire, depuis ma rencontre avec Kyle, je me suis rendu compte que j'ai épuisé les heures de bonheur que j'ai le droit d'avoir dans ma vie. Alors, dès que je suis heureuse, je guette le moment où ça va s'arrêter.

J'ouvre un oeil, puis l'autre et je remarque douloureusement la place vide à côté de moi. Une vieille peur s'insinue dans mon cerveau, et ma respiration s'accélère. Est-il parti ? M'a-t'il abandonné ? Je me redresse sur le lit et je grimace de douleur. Je pose ma main à l'endroit où Kyle a laissé sa Marque et j'en frissonne. Non, il ne m'a pas laissé, pas après cela. Je réalise soudain ce que ça signifie, que lui et moi nous seront liés à jamais.

Je serais la seule pour lui et il sera, comme il l'a toujours été, le seul pour moi et ce, jusqu'à la fin de nos longues vies. Je tente de faire taire la petite voix qui me rappelle qu'Eva a été la seule pour lui pendant quelques mois. Je soupire et décide de me lever.

— Kyle ?

Ma voix résonne dans la pièce, mais aucune réponse. J'imagine que je suis seule dans le manoir. J'attrape un t-shirt bien trop grand pour moi, qui appartient à Kyle et j'enfile une culotte en coton avant de déambuler dans les couloirs. Tout me paraît familier et en même temps complètement différent. Je pince mes lèvres, me rendant compte à quel point j'aurais aimé être là pour voir tous ces changements. À la place, j'étais en train de...

Des images que j'avais repoussé jusque là se bousculent dans mon esprit, un mélange de hurlements, de violence et d'un sentiment de satisfaction qui ne m'aurait jamais appartenu plus tôt. Je revois les visages à l'agonie de mes confrères. Des loups à qui j'ôtais la vie. Un haut-le-coeur me prend. Je pose ma main devant ma bouche pour m'empêcher de vomir. Vomir toute l'horreur que j'ai fait subir à ces gens de mon espèce, toute l'impassibilité que j'ai ressenti.

« Hailey ! »

La voix de Kyle résonne dans mon esprit, mais loin, trop loin. Je suis submergée par les hurlements, le bruit que je reconnaîtrai entre mille, celui d'une lame mettant fin à la vie d'une personne. Je ne vois plus rien, sauf les yeux qui deviennent vides, des yeux bleus, marrons, verts. Ils meurent tous et c'est de ma faute. C'est moi qui tiens le couteau ou la dague. C'est moi qui attrape leurs cheveux pour tirer leur tête en arrière afin d'avoir un accès facile. C'est moi aussi, qui sort la dague rangée au niveau de ma ceinture. Pas un sourire, pas la moindre satisfaction, je tranche la gorge de ces monstres. Puis, du soulagement, un de moins, des humains de sauvés en plus. Et tout recommence, le même schéma, sans cesse, sans fin. Je me noie dans mes souvenirs tout en tentant de me dire que ce n'est pas moi. Que c'est Livie, je ne suis pas Livie, non... Je suis Hailey, faites que ça s'arrête.

Je pose mes mains sur ma tête et mon hurlement se mêle à celui de mes victimes. Je crois entendre la voix de Kyle au loin, mais je n'en suis pas sûre. Mes yeux sont grands ouverts et fixent un point sur le parquet du couloir. Pour moi, ce n'est pas un putain de parquet à la con, mais des visages, des yeux qui s'éteignent à l'infini. Combien en ai-je tué ? Je ne saurais compter.

Puis soudain, deux grandes mains m'attrapent par les épaules et je suis propulsée contre un torse dur comme du béton. L'odeur enivrante de Kyle s'insinue dans mes narines et je reprends pied. Je relève la tête et le visage inquiet de mon âme-soeur fait éclater mes sanglots. Ils sont puissants, incontrôlables, et mettent plusieurs minutes à se tarir durant lesquelles Kyle me berce tendrement. Je m'accroche à lui pour ne pas perdre pied une fois de plus.