Point de vue de Wilfried
J'abandonne tout ce beau monde pour rejoindre ma chambre et, surtout, le dressing. Je sélectionne un de mes costumes, le bleu clair, une chemise blanche puis, rapidement, une cravate sobre. Aujourd'hui, je recrute les futurs étudiants de mon Master. Non pas que je manque d'envie, mais je dois avouer que les longues grilles d'entretien imposées par l'université me fatiguent.
Mes chaussures à talons font évidemment du bruit quand je marche dans le couloir et je vois Gwenaël qui sort de la salle de bains, habillé.
« Tu t'en vas ? me dit-il d'une moue mécontente.
— Il faut bien que je finance tout ça, lui dis-je en montrant l'ensemble de l'appartement.
— Je peux marcher avec toi le long de ton trajet ?
— Tu ne travailles pas aujourd'hui ?
— Je suis en télétravail, je rattraperai, je te le garantis.
— Soit, si cela te fait plaisir ».
C'est ainsi que je n'ai pu écouter, tel que je l'apprécie d'habitude, ou bien de la musique ou bien une émission d'actualité, sur les vingt minutes à pied qui me séparent de mon bureau. Nos conversations sont toujours minimalistes, mais reflètent surtout le profond trouble qui l'anime.
« Je voulais te dire quelque chose, Wilfried.
— Je t'écoute.
— Il y a de nouvelles opportunités d'évolution au cabinet.
— Quelles sont-elles ?
— Ils vont offrir des formations juridiques pour ceux qui le souhaitent.
— Et qui dit formation juridique dit promotion auprès de nouveaux avocats j'imagine ?
— Exactement.
— Qu'attends-tu ?
— Pour accepter ?
— Evidemment.
— Parce que je voulais t'en parler.
— Je pense que tu dois avancer, Gwenaël.
— Mais je risque de devoir travailler de plus en plus.
— Et d'être de moins en moins présent, je le sais.
— Tu ne m'en voudrais pas ?
— Rien ne changera de mon côté, je serai toujours aussi exigeant.
— Sans l'ombre d'une adaptation ?
— Ai-je adapté quoi que ce soit quand je suis devenu professeur ?
— Non, c'est vrai...
— Tu n'es pas un débutant, ne l'oublie pas. Tu sauras gérer de front ta vie professionnelle et ta place dans la meute.
— C'est ce qui m'inquiète. Les formations seront le soir, parfois à l'étranger...
— Peut-être que tu rencontreras quelqu'un là-bas, qui sait ».
Je suis arrivé devant la porte principale. Gwenaël s'est arrêté net en entendant ma dernière phrase. Je jette donc la cigarette que je fumais et le regarde une dernière fois avant de m'enfoncer dans l'université. Les talons claquent contre le superbe carrelage ancien. Gwenaël s'est rapproché de la porte et regarde dans ma direction, je le vois dans le miroir du fond. J'ai décidément encore à faire pour lui. Beaucoup trop.
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Un mâle foudroyant (BxB)
Roman d'amourLa foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit. Wilfried, lui, ne se pose pas de telles questions. Professeur de philosophie, il vit dans une vaste collocation qui s'organise au sein même de son logement de Berlin. Du moins aux yeux du monde. ...