L'ère du chaos 1

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Une servante s'affairait à maquiller la nuque de l'héritier, les mains tremblotantes et les yeux fuyants. Cette attitude exaspérait l'homme, mais il ne pouvait pas lui en vouloir. Pas tout à fait. Après tout, elle acceptait de toucher son corps ingrat et c'était déjà beaucoup lui demander. Xian poussa un soupir las, qui la fit sursauter et hoqueter de surprise. Elle faillit en lâcher sa poudre. La femme se ressaisit et continua sa tâche ; plus vite elle terminait, plus vite elle sortirait de cette pièce infernale, car elle se sentait vraiment mal à l'aise jour après jour à tripoter l'héritier de Zhī dào sous les silences pesants de ce dernier. 

Quand elle eut fini de couvrir son cou, ses doigts descendirent sur son torse, pour finalement remonter sur son visage. Pour cela, elle dut se positionner complètement face à lui et se confronter son regard apathique, ce qui lui arracha quelques frissons à l'échine.

— J-Jeune Maître, redressez le menton, s'il vous plaît...

Ses mots résonnèrent dans le vague, il ne l'écoutait pas et n'amorçait aucun mouvement, plongé dans ses pensées virulentes. Il détestait être touché de la sorte, il ne tolérait plus ses mains effrayées sur sa peau meurtrie. Aujourd'hui, comme souvent, Xian perdit le contrôle de lui-même. Il n'avait pas de patience en général, mais, certains jours, c'était encore pire.

D'un geste plus brutal qu'il ne l'avait prévu, il attrapa le boîtier qui contenait la poudre tenue par la servante et il le jeta quelque part dans sa chambre pour qu'il s'écrase contre un mur. La poussière opaque se répandit sur ses meubles et son beau tapis qu'il appréciait tant, autrefois. Sur lequel il jouait avec des effigies en bois rapportées par sa nourrice, en formes d'animaux. La femme frémit, surprise, et il la sonda méchamment. Pourquoi paniquait-elle, exactement ? Qu'avait-il fait pour mériter une telle crainte de sa part ? Il avait fait preuve de gentillesse et de compassion à son égard, mais c'en était fini. Elle l'avait déçu, comme les autres. Il lui agrippa les épaules et la poussa sans ménagement hors de sa chambre. Elle se retint de justesse de trébucher et partit en courant, murmurant deux ou trois paroles colériques aux autres servantes qui patientaient dans le couloir de son pavillon, et elle s'en allait probablement tout répéter à son père, sur ses mauvaises actions.

— Qu'elles me laissent toutes, souffla-t-il.

Il soupira, à nouveau. Malgré son timbre faible, toutes les servantes l'entendirent. Le Jeune Maître pivota vers son horrible reflet qui rendait cruellement compte de ses défauts physiques. La femme avait eu le temps de dissimuler ses laideurs corporelles, mais pas celles sur son visage. D'impitoyables cicatrices qui rongeaient sa chair. Des sillons disgracieux qui formaient une sorte de carte incompréhensible.  

Dans son enfance, il n'avait pas toujours connu la sécurité de sa Zhī dào. Il était de coutume pour les héritiers d'être envoyés au loin, chez un autre Clan ou dans une autre Secte. Pour s'instruire. Il avait été confié à un mendiant de Hù lǐ. Un aliéné qui n'avait plus toute sa tête, rendu fou par il ne savait quoi. À peine avait-il posé un pied dans la demeure de cet homme qu'une série de drames s'étaient enchaîné. Des coïncidences qui s'étaient transformés en enfer pour lui. Il s'avère que cette région isolée abritait déjà, à cette époque, des dizaines de démons qui se risquaient de plus en plus au grand jour. Un soir, à un détour du village, il s'était fait attaquer. Les griffes avaient déchiré son épiderme et cette chose lui avait ri au nez, un ricanement tonitruant qui hantait encore ses cauchemars. Depuis, il en portait les marques. Le paysan à sa garde ne l'avait pas aidé. Il s'était enfui et l'avait laissé ramper, se soigner seul, survivre seul et regagner seul sa cité. Un garde l'avait intercepté et ramené au temple.

Cependant, et c'était tristement connu, à Zhī dào, tout se révélait parfait. Des arbres puissants et élégants, aux fleurs éblouissantes, aux bâtisses subjuguant les visiteurs, jusqu'aux dignes habitants qui ne vivaient que pour démontrer leur intelligence et déblatérer des citations érudites. Voilà pourquoi Xian n'apparaissait jamais sans maquillage en public. Parce qu'il dérangeait l'harmonie de sa Secte. Ses artifices cessaient de fonctionner parfois, lorsqu'il transpirait ou qu'il pleuvait. Là, il dévoilait sa disgrâce à son peuple et ils le regardaient avec un air de désapprobation. Ses propres gens de son propre Clan éprouvaient des réticences à ce qu'il devienne leur Chef, mais la Patriarche soutenait son fils. Personne ne pouvait donc réfuter ce choix.

La fosse des LamentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant