Les fragments du passé 2

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N'y résistant plus et incapable de réfléchir correctement, il enlaça ce corps de la plus brutale des façons. À son étreinte, les Ombres perdirent l'équilibre et se rattrapèrent à lui. Xian-Jun enfouit sa mine bouleversée au creux de cette épaule rassurante. Au début, elles ne réagirent pas, mais elles décidèrent de glisser leurs mains dans son dos et de le caresser légèrement pour l'apaiser. Elles réconfortaient ce Jeune Maître dévasté. D'ailleurs, ses pensées s'emmêlaient. Soit son ami était vivant, mais propageait les ténèbres délibérément sur terre ; soit il ne vivait plus et elles le possédaient en ayant éradiqué son âme. Il ne se posa pas la question et s'imprégna plutôt de la chaleur du Seigneur.

— Après tout ce temps,...toutes ces années...vous rentrez enfin.

Il sanglota un moment, une poignée de secondes, avant que sa raison ne le saisisse.

— Vous avez même gardé ma bague ! constata-t-il.

Il ne put envisager la suite des événements, parce qu'il se sentit soulevé dans les airs et être propulsé contre le mur derrière le trône, à l'autre bout de la salle. Il rencontra la paroi si durement qu'il en geignit et s'écroula en souffrance sur le sol. Les Ombres applaudirent face à sa naïveté. Elles avaient le complet accès à la vie du Seigneur qu'elles habitaient, elles connaissaient les liens unissant les deux hommes. Leur hilarité se révéla sous un rire tonitruant de jouissance, elles ressentaient la peine du Jeune Maître et s'en délectaient.

— Pensiez-vous qu'il serait là pour vous enlacer en retour ? tonnèrent-elles.

L'héritier se releva avec grande difficulté, il tituba et s'accrocha au trône pour ne pas s'embroncher. Ses oreilles bourdonnaient et le tournis le dérangea, il se pencha en avant, les paupières closes, et il essuya le ridicule filet de sang qui s'échappait de son front. Les Ombres se rapprochèrent de lui, mais il n'osa plus redresser la tête de peur de percevoir le visage de son ami. Ce coup vicieux lui remit les idées en place. L'homme devant lui n'était absolument pas Hiwang et il ne devait pas hésiter à éliminer la vermine, peu importe l'hôte.

— Vous n'irez nulle part avec vos idées meurtrières ! cingla-t-il, furibond. À quoi bon assassiner la population ? Que cela vous apportera-t-il ? Vous finirez seules, sans compagnie, misérables, vous vagabonderez et votre errance durera pour l'éternité sur une terre détruite. Pourquoi choisir cela ?

— Vous n'avez toujours pas compris qui nous sommes, susurrèrent les Ombres, les yeux plissés du Seigneur faisaient tiquer le Jeune Maître qui n'aimait pas cette expression d'animosité. Nous naissons du néant. Nous nous développons au sein du chaos et nous nous élevons dans les cendres. Vous, les misérables cultivateurs, vous vous êtes accaparé cette terre sans nous demander notre avis ! Nous existions avant vous et vous êtes voués à disparaître. Les Ombres doivent régner en maître de ce monde. Nous le méritons. Nous sommes plus fortes. Plus robustes. Éternelles. 

— Cela ne rime à rien ! objecta-t-il. Nous massacrer jusqu'au dernier ? Reprendre votre domination ? Si vous utilisez le corps de mon ami pour cela, relâchez-le immédiatement ! Je vous interdis de le posséder. Ce n'est pas juste.

— En fait, scandèrent-elles, êtes-vous réellement en train de défendre les intérêts ce monde ? Ou ceux de votre ami ? De ce que nous notons, vous mourez de nous voir dans son corps. Vous ne fourniriez pas autant d'efforts pour nous intégrer à votre futile paix si nous avions pris un hôte quelconque. N'est-ce pas ? Votre hypocrisie se dévoile à nos yeux et elle nous offusque ! Pour votre bien, Jeune Maître, ne vous avisez plus de nous parler ainsi !

Se sentant subitement impulsif, le Jeune Maître s'éloigna du siège doré et se précipita sur son Seigneur. Les Ombres contemplèrent son manège, ne comprenant pas son élan. Il agrippa violemment ses épaules et s'ancra dans ces merveilleux orbes nocturnes. Il s'y plongea éperdument à la recherche de son ami. Elles fronçaient les sourcils, loin de s'accorder à sa tentative pitoyable. Cependant, Xian-Jun lut dans ce regard un conflit brûlant. Peut-être qu'il se montrait déraisonnable et idiot, inconscient et insensé aussi, mais il se persuadait que son ami pourrait revenir. Hiwang n'aurait jamais cédé.

La fosse des LamentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant