Muwen tournait en rond, semblable à un lion en cage, dans sa tenue rouge sang, et il mordait sa lèvre inférieure avec frénésie, les mains moites qu'il essuyait maladroitement sur la soie. Il patientait depuis plusieurs minutes et son esprit se trouvait au bord du chaos, il pensait à tout, envisageait les pires retournements de situation, parce qu'il n'y croyait pas. Il ne pouvait se résoudre à croire qu'aujourd'hui il se mariait. Et à la femme aimée ! Cependant, avant la cérémonie officielle, il devait rencontrer de nouveau ses futurs beaux-parents.
Tout seul dans sa demeure, au côté gauche des Rives Prodigieuses, il entendit ses serviteurs s'agiter et les portes de la grande salle s'ouvrirent sur un homme imposant de charisme aux habits outrageusement coûteux, accompagné d'une femme aux allures divines et au regard infernal. Ce couple représentait la définition de la froideur. Muwen se courba en toute précipitation et bien qu'ils ne prononcèrent aucun mot, ils attendaient que ce jeune homme s'explique. Il avait insisté pour les voir avant le mariage pour une raison inconnue.
— Oui ! En fait, je... Par où commencer ? bégayait-il, penaud.
Soudain, il se jeta à genoux, la tête baissée, les paumes à plat sur ses cuisses. Il tenta de calmer sa respiration par des inspirations longues et profondes, puis il arbora son air le plus sérieux. Le couple le fixait sans rien dire, très patients avec lui. Ils connaissaient ce Seigneur comme leur propre fils et ils s'étaient accoutumés à ses élans de panique.
— Je voulais vous remercier, Patriarche, votre Grâce ! clama-t-il. À l'époque, je n'aurais présumé que vous accepteriez la proposition de mariage. Quand mon entremetteur m'a annoncé votre décision, ma famille et moi-même étions si heureux !
— Notre fille vous méprisait pourtant, railla le père. Nous n'imaginions pas qu'elle vous accepterait à son tour.
— En réalité, ajouta la mère, nous vous avions accordé sa main car nous pensions qu'elle refuserait toujours et que le mariage serait repoussé sans cesse. Nous avions peur de la marier, à cause du désastre qu'elle aurait pu causer, mais nous ne pouvions la laisser sans fiancé.
— Mais vous l'avez convaincue, conclut l'homme. Par miracle, sûrement !
Le fiancé s'inclina une fois de plus et gratifia les parents de remerciements sincères. Personne n'aurait présagé qu'un Seigneur épouserait un jour la fatale Jia Li, une Dame et première-née, qui détestait férocement l'idée d'une union avec quiconque. Durant sa jeunesse, il avait toujours admiré cette femme, mais de loin, et il s'était décidé à envoyer un entremetteur au temple. Et le Patriarche y avait adhéré ! Il lui avait donné la main de sa fille aînée, bâtarde certes, mais tellement belle, caractérielle et puissante, sublime créature. Il s'était empressé d'offrir les présents nuptiaux à sa belle-famille qui ne les avaient pas rejetés, signe que le mariage aurait bel et bien lieu.
— Prions pour que notre union se déroule aussi bien que la vôtre ! rit-il.
Il se redressa finalement, puisque l'heure était venue. Les cloches sonnaient dans les Rives Prodigieuses et il devait se rendre de l'autre côté pour rejoindre le pavillon de sa fiancée. Après avoir effectué trois prostrations devant le Ciel et la Terre, il s'y hâta, excité au possible, suivi par les deux parents qui maintenaient leurs traits stricts, mais reflétaient tout de même une affection pour leur fille et cette journée si spéciale pour elle. Rares étaient les unions d'amour. Au début, tout partait d'une simple alliance, mais les voilà amoureux ! Nul n'aurait parié sur eux.
— À tous ceux qui n'avaient pas foi en nous, murmura-t-il, que vienne le temps de votre silence.
Sa fiancée était déjà entrée dans le palanquin et il ne la verrait que de retour chez lui, où se déroulerait la cérémonie. Des porteurs se munissaient d'objets, parfois des meubles ou des bibelots, sortant de ce pavillon ; des présents de sa belle-famille. Le cortège se mit en marche à la lueur des flambeaux puisque la nuit les plongeait dans une obscurité apaisante ; lui au-devant avec des serviteurs ornés de talismans, la chaise de sa future épouse, ses dames d'honneur et tous les serviteurs qui agrandissaient cette immense parade. En tout, une centaine d'hommes les accompagnait.
— Ne soyez pas trop paniqué, cette fois, railla à son oreille le père de sa fiancée. Surtout au moment de la nuit de noces...
Les deux familles pénétrèrent d'abord à l'intérieur de son pavillon et Muwen se sentit pâlir. Enfin, la cérémonie allait réellement débuter. Les porteurs soulevèrent le drap qui dissimulait la mariée et Jia Li quitta le palanquin avec grâce. Sa magnifique robe tout aussi rouge que la sienne tombait en une traîne brodée, sa chevelure avait été hissée en une coiffe splendide où broches et épingles décorées se mêlaient, un voile parcourait cependant son visage. Il lui tardait de la découvrir entièrement.
— Comment pourrait-elle me surprendre de sa beauté ? songea-t-il. Elle me ravit déjà tous les jours.
Le jeune homme lui tendit sa main et elle la saisit. Ensemble, ils entrèrent dans son pavillon, prêtant attention à ce qu'elle ne trébuche pas avec les nombreux plis de sa robe, ce qui signifierait un terrible présage. Une petite table trônait au centre de la pièce aménagée. Sur celle-ci, une lettre de fiançailles qui établissait leur contrat de mariage, des aliments variés et une coupe de vin mélangé à du miel, nectar de la nuit de noces. Des dizaines de talismans jonchaient les murs.
— J'entends votre cœur battre, susurra Jia Li.
Avant de s'asseoir de part et d'autre de la table, les deux fiancés réalisèrent trois salutations. Les prostrations détenaient une place primordiale lors d'un mariage ; une pour le Ciel et la Terre, une pour les ancêtres et la dernière pour eux-mêmes.
— Il ne bat rien que pour vous, sourit-il.
Puis, ils s'agenouillèrent. Muwen la scrutait avec des yeux remplis d'étoiles et il sentait qu'elle le regardait également à travers ce voile épais. Ils goûtèrent à un aliment, une viande précieuse, et ils burent le nectar. Ensuite, deux dames d'honneur se glissèrent derrière eux, sous les yeux attentifs des familles à l'intérieur et des convives à l'extérieur du pavillon. À l'aide de ciseaux, elles coupèrent une de leurs mèches et les entrelacèrent.
— Enfin, vous serez mienne, s'extasiait-il, sous le tendre sourire de son épouse.
Un tambour retentit, et le doux son de l'erhu s'éleva, et une flûte. À eux trois, ils produisirent une mélodie exquise qui détendit Muwen. Il se leva et se déplaça en mouvements rythmés jusqu'à sa fiancée. À ses cheveux, un ruban était attaché. Il le défit lentement et le confia aux dames d'honneur. Elles s'en servirent pour nouer les mèches et elles réclamèrent à la mariée une bourse en soie rouge qu'elle gardait précieusement dans sa main. Elles enfouirent les cheveux dans la pochette et la refermèrent, puis elles l'exhibèrent à l'assemblée avant de se reculer.
— Ma fille vous appartient désormais ! proclama le Patriarche. Prêtez une attention particulière à la combler !
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La fosse des Lamentations
FantasiaQuand le monde bascule dans l'ombre, seuls de véritables héros peuvent le sauver. Tout le monde pensait les connaître, que ce soient les cultivateurs, les prêtres, les immortels ou les mortels. Tous ont cru comprendre ce qu'avaient enduré les Champi...