La fosse des Lamentations

La Caresse Divine 2

Il bondit sur ses jambes et Xian voulut l'interrompre dans son euphorie. Non, il ne souhaitait pas boire, mais le cadet paraissait tellement enjoué qu'il baissa les bras. Pourquoi pas ! Le Jeune Maître jeta un pied hors du lit et l'autre suivit le mouvement ; assis sur le bord, il respira un grand coup. Il sentit à peine l'aura protectrice du Seigneur qui avait repéré sa détresse. Sa magie coulait toujours en lui, Hiwang lui en avait administré une dose conséquente. Sa tête lui tourna un moment, puis il lui indiqua de le soutenir pour qu'il se lève. Debout, il chancela, mais rien de bien méchant. Son compagnon le guida jusqu'à la table et il s'y agenouilla avec lenteur pour ne pas relancer ses vertiges.

Une fois assuré qu'il ne tomberait pas à la renverse, le Seigneur de Hù lǐ s'empressa de saisir deux jarres qu'il déposa devant eux. Il s'installa, les jambes croisées, et entreprit de remplir les verres de l'alcool. Yichen, en lui dénichant le remède contre le poison, avait également amené la Caresse Divine et lui avait conseillé d'en offrir au Jeune Maître pour le détendre. Apparemment, il s'agissait d'un vin merveilleux. Puisqu'il avait goûté à l'Assaut du Diable lors du premier soir, il se hâtait de découvrir cette nouvelle saveur.

— Au final, vous êtes encore parvenu à contourner la conversation, fit remarquer Hiwang. Pourquoi bon sang ne souhaitez-vous pas évoquer la possibilité d'un mariage ?

— Pourquoi serais-je le seul à me justifier ? rétorqua-t-il, en saisissant le verre tendu.

— Soit ! Dans ce cas, je vous raconte le parcours laborieux de mes relations et vous aussi. Marché conclu ?

— Nous verrons.

Hiwang lui sourit, se doutant qu'il parlerait s'il l'obligeait un peu. Le Jeune Maître ne trouvait pas ce marché très honnête. Au final, que pourrait-il lui apprendre qu'il ignorait ? Le Seigneur était un homme à femmes, un collectionneur mais qui les traitait toujours avec amabilité. Un gentilhomme qui quémandait de l'attention, des sentiments, un amour éternel. Par ailleurs, il éprouvait une impression étrange envers cette conversation.

Deux hommes qui se confiaient autour de verres de vin leurs relations...

Xian ne voulaient pas savoir tant de détails sur sa vie. Pourtant, cette intimité que son cadet défendait, cette limite qu'il dépassait inlassablement, cela le perturbait moins qu'au début. Il gloussa au souvenir de leur rencontre. Ils avaient failli se massacrer pour un malentendu et maintenant, ils se sauvaient l'un et l'autre, à occasions régulières. Tout avait bel et bien changé, et il en profitait, n'ayant pas connu ce genre d'amitié dénuée d'arrières-pensées.

Le Seigneur de Hù lǐ perçut son gloussement et ne le comprit pas, mais il sourit en accord avec cette ambiance. La nuit dominait, et les ombres des lanternes s'embrassaient sur les parois en bambous et en bois. Enfermés dans cette chambre calme, ils enterraient définitivement la hache de guerre, même s'ils ne s'étaient pas vraiment haïs. Hiwang ricana, franchement heureux. Chez lui aussi, il ne partageait pas ce genre de moments sereins, où deux personnes échangeaient avec sérénité sur divers sujets, loin des contraintes.

Il dressa sa coupe et Xian l'imita, réticent à l'alcool. Cela le contrariait de boire en compagnie de quelqu'un d'autre, parce qu'il pouvait sombrer dans une bêtise profonde en état d'ivresse et mieux valait qu'il soit seul à sa table. Cependant, par gratitude et parce que le Seigneur semblait très enjoué, ils entamèrent cette tournée. Le liquide glissa dans leurs trachées et brûla immédiatement leurs gorges et leurs bustes. Ils grimacèrent, mais Hiwang s'esclaffa, en tapant des mains, excité par cette sensation inédite.

L'Assaut du Diable était traître car son goût passait inaperçu, les verres s'enchaînaient et le buveur terminait ivre mort. Au contraire de la Caresse Divine. Celle-ci pulvérisa sur-le-champ leurs esprits. La saveur différait terriblement et cela ne déplut pas au plus jeune qui les resservit. Le Jeune Maître but ce second verre et déclina le troisième. Au bout de cette tierce gagnante, le fidèle de Hù lǐ riait tout seul. Plus besoin de divertissement, son âme d'enfant s'éveillait.