L'héritier se serait volontiers révolté et aurait certainement maugréé une excuse bancale, mais il fut coupé par un brouhaha immense. Tout à coup, deux énergumènes déboulèrent dans la rue. Les deux M. Ils se chamaillaient bruyamment et Meiling dégaina son épée. Muwen esquiva et répliqua avec son arme. Bien sûr, ils ne se battaient pas réellement, une simple bagarre suite à une blague mal placée. Jia Li les suivait, les bras croisés dans son dos, elle ne s'intéressait pas du tout à eux. Lorsqu'elle repéra le reste de ses compagnons, elle se posta en face d'eux, expliquant qu'elle ne supportait plus leurs enfantillages. Elle paraissait vraisemblablement épuisée par ce duo atypique.
La chasseuse cogna la jambe du fiancé qui perdit l'équilibre et s'écrasa au sol, la poussière s'élevant à sa chute. Il toussa et s'épousseta, mais une lame menaça son cou. Meiling, visiblement très fière, l'avait vaincu. Il marmonna que leurs combats n'étaient pas justes puisqu'elle avait été entraînée pour la traque et la destruction des démons, et lui se défendait à peine lors de tournois amicaux. Muwen chercha ensuite sa promise et il se précipita vers le groupe, imité par la jeune femme.
— Jeune Maître, Seigneur, nous voulions vous inviter ce matin, mais vous aviez disparu ! informa-t-il, sous les acquiescements de Meiling.
— Pourquoi ? se renseigna Hiwang. Nous étions à la chasse et à la pêche, c'était amusant. Ce Jeune Maître ne possède de talent ni pour l'un, ni pour l'autre !
— Oh ! je m'en souviens, oui ! Il déteste ! J'aurais aimé assister à ce désastre de mes propres yeux, pouffa la chasseuse. Une partie de Perdrix Blanche ! Cela vous tente-t-il ?
— J'en suis !
Ni une, ni deux, le Seigneur était déjà debout et prêt à les suivre jusqu'au pavillon. Ce jeu comptait parmi ceux qu'il favorisait. Les deux M et lui partirent presque en courant et Jia Li se mit aussi en route, ne souhaitant pas rester seule pour cette dernière journée. Xian ressentit les orbes noirs de Yichen sur lui et il adhéra à l'ordre muet. Il laissa le benjamin et l'alchimiste en intimité. Victoire pour le benjamin ! Cependant, Wulong désirait jouer et implora le guerrier de Jiǎo huá de venir avec eux, de façon tout à fait adorable. Dépité et anéanti par sa moue ridiculement jolie, il céda et renonça à un après-midi tous les deux.
Les voilà donc tous autour de la table, dans la salle commune du pavillon. Quatre d'entre eux avaient débuté une partie, Wulong, Hiwang et les deux M, et les autres observaient. Le but du jeu était simple. Il fallait être le premier à poser la carte Perdrix, qui était la plus forte en point. Sauf qu'elle était détrônée par la carte Blanche. Xian-Jun analysa un tour et ne saisissait pas vraiment la difficulté. Alors, il se joignit à eux. Le Seigneur pliait ses lèvres, dissimulant un sourire narquois. Lorsque la carte Blanche apparut, et que le Jeune Maître piocha la carte Perdrix, il pensa avoir gagné. Il la posa.
— Perdrix, dit-il selon la règle du jeu.
— Blanche ! s'écria Meiling.
Effectivement, elle tira de sa main ladite carte. Fronçant les sourcils, le Jeune Maître était sûr de lui. Cette carte était déjà passée ! Jia Li soupira, en comprenant. Xian ancra son regard dans les leurs, rieurs. Ils avaient triché ! Le sourire désolé de Wulong l'innocentait, Meiling riait beaucoup trop pour se vanter de l'avoir dupé et Muwen tapait sur la table en célébrant la victoire du Seigneur. Il le toisa durement et Hiwang s'esclaffa. L'héritier saisit la pile et fouilla pour retrouver la Blanche qu'il avait cru apercevoir. Il la dénicha, mais son dessin changea. Il s'agissait d'une carte banale transformée.
— Les règles du jeu ! chanta Yichen. Elles reposent sur la tricherie.
— Je n'aime pas ce jeu, affirma-t-il, ce qui doubla les rires.
Exténuée et en ayant assez de leurs bêtises, Jia Li signala qu'elle se cloîtrait dans sa chambre jusqu'au soir et qu'elle ne voulait pas être dérangée. Xian tira sa révérence à son tour, après un soupir indigné. Wulong esquissa une parole pour s'excuser à la place des trois garnements, mais ce serait inutile. La Perdrix Blanche consistait à tromper tout le monde, en bluffant et en trichant.
Hiwang roula pratiquement par terre à son air bougon. Le visage défait de son aîné valait de l'or ! Il se tenait le ventre et essuyait les larmes espiègles sur ses joues. Il se calma au prix d'un effort surhumain, attiré dans l'euphorie à cause des rires des deux M. Titubant, il se leva et poursuivit le Jeune Maître jusque devant sa porte close. Taisant ses derniers soubresauts, il toqua plusieurs fois, sans réponse. Il lui intima d'ouvrir d'une voix enfantine, mais Xian s'était renfrogné. Sur son lit, il méditait. Ou du moins, il s'y appliquant tant bien que mal, puisque son ami truqueur de cartes le conjurait de le laisser entrer. Il se confina dans son mutisme, buté.
— Faut-il vraiment que j'entre par mes propres moyens ? gronda le Seigneur. Très bien, soit ! Vous ne me gronderez pas si je brise...
La porte coulissa et le Jeune Maître le jaugea avec une agressivité non-contenue. Lui qui aspirait à se reposer, c'était fichu. Il retourna sur son lit, assis en tailleur, et ses paupières se baissèrent. Satisfait de pouvoir entrer, Hiwang se faufila dans la chambre et referma derrière lui. Au début, il trépigna, se balançant de pied en pied, ne sachant pas quoi faire. Son ami l'ignorait superbement et il pensa à l'embêter un peu, mais se ravisa. Il était trop fatigué pour entreprendre davantage d'idioties. Toutefois, le Seigneur sourit, une idée en tête. Il commença à courir vers l'héritier qui entendit ces pas rapides et fut obligé de le regarder.
— Attention, j'arrive ! hurla le Seigneur, tout sourire.
Il sauta sur le lit et atterrit dans les bras de son aîné qui les resserra par réflexe autour de lui. Le propulsant en arrière, ils rebondirent sur la fine couche. Apparemment content de son énième méfait, le plus jeune étirait ses lèvres et dévoilait deux rangées de dents parfaitement blanches.
— Allons, Xian-Xian, ne vous formalisez pas de quelques sournoiseries ! Je peux saisir néanmoins votre embarras. Un homme de Zhī dào, un maître de la stratégie, doit éprouver une certaine frustration à ce jeu qui se base sur la tromperie. Duper, ce n'est franchement pas votre point fort ! Ni la chasse, et encore moins la pêche ! À quoi êtes-vous bon, Jeune Maître ? Détenez-vous le moindre don ?
— Décalez-vous immédiatement ou vous découvrirez mon aptitude inouïe pour vous botter l'arrière-train !
— Oh ! mais il me tarde de...
Derechef, le Seigneur ne termina pas sa phrase. Son compagnon l'avait repoussé si brusquement qu'il fut pris au dépourvu. Hiwang voulut s'accrocher à lui, mais le coup le déboussola et il dégringola du lit, s'effondrant de la plus abrupte des manières.
— Est-ce que tout va bien dans cette chambre ?
Muwen avait demandé cela sur un ton qui démontrait son hilarité. Les quatre restés dans la pièce commune déduisaient facilement la provenance du bruit sourd. Le Jeune Maître avait dû faire payer son cadet. Ce dernier ne répondit rien et se remit debout à toute vitesse, rajustant sa robe. Une mèche avait glissé entre ses yeux et il souffla dessus, n'ayant pas l'énergie de se recoiffer.
— Xian-Xian, seriez-vous plus incommode encore que je le présumais ? J'aurais pu me blesser dans ma chute, sale vaurien.
— Peu m'importe, et arrêtez un peu avec vos familiarités. Quand assimilerez-vous le fait que je suis Jeune Maître ?
— Hum, laissez-moi réfléchir... Quand vous cesserez de dormir dans mon lit...
À cette réplique, le fidèle de Hù lǐ poussa un rire guttural et il grimpa sur le lit pour s'allonger avec peu de grâce. Il encercla le Jeune Maître d'un bras lourd et le força à s'étendre à ses côtés. Xian aspirait à le déloger, mais il nota le sourire taquin du plus jeune. Soupirant avec lourdeur, il consentit finalement à sa malice et ne se débattit pas pour l'éjecter, à nouveau. Cet homme n'avait pas mûri, il demeurait un enfant et cela ne déplaisait pas à l'héritier qui n'avait jamais profité d'une jeunesse. En sa compagnie, il expérimentait l'insouciance, quelques balourdises et des âneries qu'il ne se serait guère permis, enfant.
— Dormons, pas longtemps, juste un peu, je suis fatigué.
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La fosse des Lamentations
FantasíaQuand le monde bascule dans l'ombre, seuls de véritables héros peuvent le sauver. Tout le monde pensait les connaître, que ce soient les cultivateurs, les prêtres, les immortels ou les mortels. Tous ont cru comprendre ce qu'avaient enduré les Champi...