Un si grand soleil 3

15 2 0
                                    

— J'ai faim, grogna le plus jeune.

— Allons au marché.

Aussitôt dit, aussitôt fait, ils se dirigèrent vers la place principale du Talion Infernal, habillés et présentables. Seuls leurs cheveux étaient encore humides et ondulés. Hiwang repéra une taverne qui affirmait sur son écriteau vendre les meilleurs alcools. Obligeant le Jeune Maître à le suivre à l'intérieur, ils réservèrent une table et le Seigneur insista pour avoir de la Caresse Divine. Il désirait tenter l'expérience à nouveau, mais il ne commanda qu'une coupe. Juste pour goûter une seconde fois, avant de partir. Son aîné se cantonna au thé vert où flottaient des feuilles de menthe fraîchement cueillies ce matin. Le fidèle de Hù lǐ mangea pour quatre, se remplissant la panse avec la plupart des plats de l'établissement. Même les serveurs s'interrogeaient sur les capacités de son estomac. Quand s'arrêterait-il ?

L'héritier le convainquit de payer et de s'en aller, mais son cadet avait du mal à se déplacer, la bedaine pleine. Ils marchaient à pas lents, Hiwang inspirait et expirait calmement, digérant avec peine, mais ravit d'avoir dévalisé les cuisines de la taverne.

— Xian-Jun ! chantonna le Seigneur. Pourquoi me fixez-vous avec cet air...dégoûté ?

— Oh, qui sait ? répondit l'aîné en déviant son regard. Peut-être parce que votre estomac a tellement gonflé que vous ne verrez bientôt plus vos pieds ? Peut-être parce que vous nous faites perdre un temps affligeant à vous déplacer plus lentement qu'un escargot en fin de vie ? Ou peut-être parce que vous rotez à la manière d'un porc, malgré vos vaines tentatives pour vous retenir ? Qui sait ?

— Un escargot en fin de vie, vraiment ? 

— Pourquoi est-ce que je m'ennuie de votre présence ?

— Vous m'adorez, je vous dis ! Osez clamer le contraire.

— Si cela vous plaît de le croire, croyez-le donc.

— Méchant Jeune Maître ! accusa le plus jeune, rotant une fois de plus.

— J'aurais dû m'enticher d'une truie. Le résultat aurait été le même...

En chemin pour retourner au pavillon, où le Seigneur se serait probablement couché pour se reposer après ce copieux repas, ils ouïrent une voix qu'ils reconnurent sur-le-champ. Des petits de Jiǎo huá courraient dans tous les sens et se battaient avec des épées en bois ; ils s'amusaient avec innocence, mais se frappaient fort et se raclaient les genoux au sol à chaque chute. Voilà la candeur sauvage des Fureurs Fallacieuses. Le Jeune Maître soupira ; non, cette Secte ne leur apprenait pas à se battre pour se défendre, mais elle les forgeait à devenir de féroces guerriers, y compris par le moyen des jeux d'enfants.

— Prenez une pause ! implora Wulong, assis à l'ombre sur des marches, tandis qu'il observait un garçon tomber, encore. Vous vous blesserez gravement, si vous continuez ! Yichen, pourquoi ne m'écoutent-ils pas ?

L'interpellé haussa les épaules. Il se fichait totalement de ces enfants qui gâchaient son moment avec l'alchimiste. Il le dévisageait, carnassier, et se léchait les lèvres, songeant sûrement à des choses que les garçons ne devaient surtout pas connaître ! Brutalement, il déploya une magie très sombre qui bloqua les bambins dans leurs mouvements ; ceux-ci ne pouvaient plus esquisser le moindre geste et cette immobilité contrainte les terrifia. Ils tremblotèrent et un se mit à pleurer. Il les relâcha aussitôt et ils s'éloignèrent, jouant un peu plus loin, lui lançant des regards mauvais qu'il leur rendait avec colère.

— Vous occupez-vous de ces enfants aujourd'hui ? s'enquit Hiwang, prenant place près de l'alchimiste. C'est vrai, qu'à la capitale, je vous vois toujours avec des enfants en passant devant votre établissement.

La fosse des LamentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant