— Quel est le vaurien qui pose ses mains turpides sur notre propriété ?!
La voix claqua dans les prisons. L'homme bondit quasiment à l'autre bout de la cellule sous le regard brisé et les essoufflements de Wulong. Petit Fielleux se tenait derrière Yichen et souriait aimablement à l'alchimiste. De fait, il avait amené le jeune homme ici. Heureusement pour lui. Il ajusta sa robe et s'assit correctement, pendant que la porte s'ouvrait et que les Ombres entraient dans le but évident de détruire l'infâme ivre. Il se rua sur l'alchimiste et observa les marques sur ses poignets, son cou et des hématomes apparaissaient progressivement sur ses jambes aussi. Sans attendre, elles dirigèrent leur poing vers le criminel et le fermèrent, ce qui le réduisit en cendres en un battement de cils.
— Quiconque touche à ce qui nous appartient écopera d'un sort identique !
Elles avaient haussé le ton pour que tous les prisonniers perçoivent la menace. Mais elles s'éclipsèrent aussitôt. Wulong inspira un grand coup. Il haïssait qu'elles tuent des êtres vivants avec le corps de Yichen. Il priait sincèrement pour qu'il ne se rende jamais compte de ce qu'elles l'avaient obligé à faire. Certes, son amant était habitué au sang et à la guerre, mais pas à massacrer les innocents. Ou il ne le faisait plus depuis qu'ils s'étaient rencontrés. L'homme présent dans la cellule répliqua à ses réflexions muettes.
— Durant sa jeunesse, il effrayait les plus démunis et torturait les pauvres, mais il ne tuait pas ceux qui ne le méritaient pas... Puisque Yichen a prouvé son attachement envers vous, je suppose que vous êtes la cat...le fameux alchimiste qui a enlevé un fils de Jiǎo huá à sa Secte, une prouesse en soi.
— Je n'ai privé personne de son peuple, rétorqua-t-il sur un ton sec. Yichen a choisi, il m'a choisi, je ne le forçais pas à rester.
— Il vous aimait, conclut-il, tellement que les Ombres bataillent pour posséder son être... Vous savez, je n'accorde point de foi à ces convertis. Elles clament changer la nature des gens en les possédant. Foutaises ! Yichen se révolte pour vous en ce moment. Je suis persuadé que les forts d'esprit ne se perdent pas lors de la conversion, mais qu'ils se battent contre elles. Constamment.
Wulong s'accrocha à cette hypothèse, il s'y noya. Tout concordait en fait. Lorsque Yichen s'énervait et prenait sa défense, lorsqu'il l'embrassait, lorsqu'il faisait preuve d'une jalousie saugrenue et lorsqu'il s'occupait de lui, les Ombres dictaient ses actions, mais pas ses émotions. Une sincérité dégorgeait de tous ces instants. Son amant devait forcément se trouver quelque part, son esprit ne s'était pas évaporé. Impossible ! Sinon l'alchimiste ne serait plus là ; après toutes ses tentatives d'évasion, il aurait dû être exécuté. De plus, il avait repris son consentement et le jeune guerrier n'avait pas outrepassé cette limite, il avait triomphé pour lui.
Des larmes soulagées abondèrent, il gratifiait les dieux pour avoir sauvegardé l'âme de son amour. Toutefois, sa réjouissance fut de courte durée. Petit Fielleux déboula en trombe dans les cachots et se précipita pour déverrouiller la cellule de l'alchimiste qui le dévisageait.
— Il est devenu fou ! exposa-t-il. Il a commencé à tuer tous ceux qui passaient près de lui, et il s'attaque maintenant à Meng. Je ne le porte pas dans mon cœur, mais il est notre Patriarche.
Pas besoin d'en dire plus. Wulong se mit à courir en direction de la salle du trône. À coup sûr, les deux belligérants s'y disputaient. Il arriva rapidement et assista à une scène très déplaisante. Meng gisant dans son propre sang, à moitié mort, mais qui maugréait toujours des insultes envers Yichen qui le surplombait. Les Ombres s'apprêtèrent à l'anéantir, mais l'alchimiste s'interposa. Retenant les mains de son amant, il ancra leurs regards. Il aperçut le visage innocent de son cadet une demi-seconde, avant de se confronter aux maîtresses.
— J'ai compris, affirma Wulong, en une mélodie doucereuse. Vous ne vous dissimulerez plus derrière vos actions déplorables ! Vos envies, elles ne sont plus vôtres. Yichen vous domine et cela vous enrage ! Ne vous vengez pas sur Meng, ce serait lâche !... Yichen, mon amour, écoute-moi et recule, ne le tue pas, je t'en supplie.
Le jeune homme acquiesça péniblement et Wulong sourit avec merveille. Deux pas en arrière, et il pensait avoir vaincu les Ombres, mais une dague s'éleva et se planta dans un torse. Un gémissement. Un écroulement. Meng s'était élancé sur Yichen avec les forces restantes et les Ombres avaient répondu. Le Patriarche venait de mourir et avec lui, l'espoir de l'alchimiste. Il en tremblait de rage. Pourquoi ne pouvait-il pas retrouver l'amour de sa vie ? Mais il n'abandonna pas sa théorie. Il était prêt à laisser vivre son ennemi ! Non, il ne délaisserait pas son amant. Jamais.
— Vous vous complaisez dans vos désirs illusoires, enfant des Songes Téméraires, vous rêvez trop ! scandèrent les Ombres. Puisque vous aspirez tant à revoir votre amant, nous nous retirerons... À condition que vous plantiez une lame dans son cœur !
Pour illustrer leur propos, elles mirent leur dague dans les bras de l'alchimiste et elles prirent celle de feu Meng. Wulong se tendait à l'idée de le combattre, encore plus de le blesser. Mais les Ombres ne lui laissèrent pas le choix. Elles l'assaillirent odieusement, cognant sans répit en direction de l'alchimiste. Ce dernier para de son arme, mais peinait à suivre le mouvement. Il flanchait à chaque assaut et finit par tomber à la renverse. Yichen le manqua de peu, frappant à un cheveux de son oreille.
— Je n'en peux plus de te supplier, Yichen... Tue-moi si cela t'amuse...
Puis, il le remarqua. Son amant ne réussissait pas à l'embrocher, les coups se perdaient toujours à côté. Les Ombres, certes, lui laissaient quelques opportunités de répliquer, afin qu'il s'en prenne à son amant. Elles voulaient que Wulong soit obligé de faire souffrir son amant. Pourtant, elles se refrénaient peu. Celui qui évitait réellement de le blesser, c'était bel et bien Yichen. Il le voyait dans la lueur de son regard cassé.
Alors, il saisit l'occasion. L'alchimiste pria pour ne pas se tromper. Si son amour n'existait déjà plus, alors faire sortir les Ombres de son corps reviendrait à le tuer ; son enveloppe charnelle ne bougerait plus, un pantin sans ficelle. Mais il s'agissait de son unique chance de le savoir. Il leva la lame, ses paupières closes d'horreur, et le transperça. Il sentit la résistance de la chair, des os, probablement d'un muscle. Son organe vital avait été épargné, mais pas sa cage thoracique.
— Yichen, mon amour..., murmura-t-il avec effroi.
Les Ombres, s'étant engagées, respectèrent leur part du marché et elles quittèrent le corps de son cadet. Elles s'amusèrent de la douleur de l'alchimiste, de sa mine anéantie ; elles espéraient justement que Yichen meure et que la vie de Wulong se teinte d'un désespoir sans fin.
L'alchimiste voulut le rejoindre, mais elles fondirent sur lui et le percutèrent avec violence. Il virevolta et atterrit douloureusement plus loin, son crâne heurtant le sol. Il lui fallut un certain temps pour s'en remettre. Il s'en déboussola, il chancela.
Debout, il les vit valser dans les airs, à la recherche d'un homme digne d'être possédé. Elles sortirent par une fenêtre. Enfin, seuls ! L'alchimiste se jeta sur son amant et analysa les dégâts. Il commençait à saigner beaucoup trop. Il envisagea de le soigner avec sa vitalité, il y parviendrait, mais certainement au prix de sa vie. Il invoqua une autre technique. Incertaine, mais il emprunta tout de même ce chemin.
— Vous ! Aidez-moi ! ordonna-t-il.
Petit Fielleux, jusqu'alors caché à l'entrée de la pièce, tressautant de peur, se dépêcha d'obéir ; il ne pensait pas que Wulong l'avait repéré. Il s'accroupit face à cet alchimiste qui chuchotait des formules aux sonorités barbares. Il posa ses deux paumes à plat sur le torse de son homme et une lumière bleutée illumina sa peau meurtrie. Une substance glacée se répandit sur la blessure. Il gelait la plaie, la magie rejetterait les infections et retiendrait l'hémorragie.
Tous les trois devaient désormais s'enfuir avant que les Ombres ne se décident à revenir pour eux. Ils portèrent le blessé, en essayant de ne pas abîmer son pauvre corps, et appelaient les dieux pour qu'ils les protègent.
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La fosse des Lamentations
FantasíaQuand le monde bascule dans l'ombre, seuls de véritables héros peuvent le sauver. Tout le monde pensait les connaître, que ce soient les cultivateurs, les prêtres, les immortels ou les mortels. Tous ont cru comprendre ce qu'avaient enduré les Champi...