La fureur de l'amour 2

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Ils abandonnèrent rapidement ce point d'interrogation qu'était Jia Li, bien que Meiling se doutait tout de même que la jalousie jouait en la faveur des fiancés. À vrai dire, elle interceptait toujours les œillades sombres de la mercenaire sur elle et son ton froid. La bâtarde, malgré son caractère introverti et sauvage, réussissait à se dérider, notamment avec Wulong et Yichen qu'elle considérait en compagnons. Mais, avec la chasseuse, elle ne pouvait pas tolérer sa présence, jamais ! Et la cadette l'avait très bien compris. Peut-être qu'en réalisant sa possessivité maladive, elle avouerait que Muwen lui plaisait.

Ils mangèrent tranquillement, puis le natif lui présenta sa capitale sous toutes ses belles parures. Il insista aussi pour qu'elle dorme ici cette nuit, ou qu'elle reste plus longtemps, mais la chasseuse refusa gentiment. En fait, elle s'inquiétait pour son Jeune Maître, laissé tout seul à Zhī dào. Xian-Jun s'était cloîtré dans son pavillon et avait installé des barrières magiques pour ne pas être dérangé le jour commémoratif du décès de son ancien ami. Sans Hiwang, il agissait bêtement et elle souhaitait quérir de ses nouvelles.

Ainsi, Muwen la raccompagna en barque jusqu'à l'écurie où elle récupéra sa monture. Ils plaisantèrent un peu plus, rirent tels deux stupides enfants et arrachèrent des soupirs aux gardes. Meiling calma son hilarité et embrassa la joue son ami, grimpa sur son cheval et s'apprêta à rentrer chez elle. Pleine de nostalgie, elle contempla une dernière fois les Rives Prodigieuses, se promettant de revenir.

— Chevauchez prudemment ! prévint-il. Vous vous rappelez du chemin que nous avons pris tantôt, ne dérivez surtout pas... Cela m'attriste que vous repartiez déjà.

— Je le dois. Imaginez l'état du Jeune Maître, il a besoin de compagnie... Et, ce serait l'occasion pour vous de converser avec votre jolie fiancée. Profitez d'un instant ensemble, sans vous quereller de préférence.

— Nous ne nous querellons jamais, assura Muwen, une moue aux lèvres, ne saisissant pas pourquoi elle lui parlait de Li.

— Elle fuit les chamailleries, car ses émotions nous dépassent tous, elle y compris ! Elle se contrôle, mais poussez-la un peu à bout et elle craquera enfin... Maintenant, mon cher, à bientôt ! Puissions-nous nous revoir très vite !

Sur ce, elle commanda à son cheval à travers le labyrinthe de Mó fǎ. Avant la tombée de la nuit, elle aurait parcouru le chemin risqué ; après, elle n'aurait qu'à slalomer entre les ruisseaux. Muwen attendit qu'elle disparaisse de son champ de vision et il remonta à la capitale, triste de ne pas avoir sa meilleure amie à ses côtés. Mais il était bien décidé à mettre en pratique son conseil. Il se dirigea donc vers le pavillon de sa fiancée, tout sourire, et toqua plusieurs fois sans réponse. Curieux, il entra à pas de loup.

Il trouva sa promise dans sa chambre, adossée au mur contre lequel son lit était ; elle s'était entourée de quelques jarres qu'elle buvait à une allure folle. Son regard démontrait toujours sa sobriété. Elle paraissait à l'aise, mais il décelait une pointe d'amertume dans ses orbes qui croisèrent les siens. Il s'approcha, penaud, et s'assit près d'elle, sur le bord. Il ignorait par où commencer. En public, il était plus simple de s'adresser à elle ; il déblatérait des banalités et elle répliquait de son ton détaché. En intimité, elle l'effrayait, parce qu'il ne savait pas déchiffrer ses silences. Le jugeait-elle ? L'injuriait-elle pour lui faire perdre son temps ? Comment le deviner face à cette mine refermée ?

— Pourquoi être partie à la hâte ? questionna-t-il à voix basse. Vous ne semblez pas proche du tout de Mei, qui est dorénavant mon amie la plus chère. Je l'estime beaucoup, mais votre avis m'est également indispensable.

— Je la déteste, admit-elle de son ton glacial. Tout chez elle m'insupporte, sûrement parce qu'elle se colle à vous sans cesse.

— Cependant, elle n'est qu'une amie, rétorqua Muwen.

— Et moi, votre fiancée, contra Jia Li. Votre cœur est divisé en deux... Devrais-je vous épargner quelques tourments et vous poser la question ? Si vous deviez vous séparer d'une de nous, laquelle choisiriez-vous ?

La joie ou l'apathie, la lumière ou l'obscurité, l'amitié ou le devoir ; Meiling ou Jia Li. Voilà qu'elle lui soumettait le dilemme ultime. La bâtarde l'observa longuement ; il fronçait ses sourcils, déglutissait avec peine et son torse se soulevait trop souvent, il paniquait. Elle manqua de pouffer avec regret. Elle présumait être l'évincée. Au final, elle le mériterait. Pas une seule fois, elle ne lui avait prouvé une affection, de la tendresse ; elle se refroidissait tellement, une âme impénétrable, sur laquelle il se heurtait depuis des années. Maintenant qu'il fréquentait cette chasseuse lui offrant tout ce dont il rêvait, Muwen garderait assurément la plus jeune et la plus sympathique des deux !

— Ne vous fatiguez pas, susurra-t-elle, buvant à nouveau. Je ne veux pas entendre votre choix, je le déduis sans mal.

— Vous, souffla-t-il quand même. Bien évidemment, je vous choisirai. En dépit de notre engagement, vous m'êtes essentielle et je chéris nos fiançailles. Alors, je vous choisirai toujours à Mei,...mais mon cœur se briserait. Si je peux faire ce sacrifice, ne me l'imposez jamais, s'il vous plaît.

Possiblement que l'alcool enivrait ses sens, car elle ressentit une profonde satisfaction à ses mots. Elle sourit et dissimula l'étirement de ses lèvres derrière sa main. Seulement, ses yeux plissés trahissaient ses états d'esprit. Elle jubilait. Muwen le nota et il s'en chamboula. Rarement il l'avait vue ainsi. Elle souriait en massacrant ses ennemis, pas en parlant avec lui. Leurs joues chauffèrent. Surtout de gêne. Ils ne décrochaient cependant pas leurs regards.

— J'en suis forte aise, murmura-t-elle. Montrez-moi à quel point je vous importe.

Elle se détacha de son mur et s'agenouilla sur son lit, les pans de sa robe traînés tout autour d'elle. Il la pensait terriblement sublime ; sa tenue rouge sombre qui valorisait ses courbes, ses cheveux noirs qui contrastaient avec sa peau albâtre, et ses lèvres si attirantes.

Elle combla l'espace en se postant juste en face de lui. Ses deux mains aplatirent les joues de son fiancé et il ressemblait à un poisson hors de l'eau, la scrutant sans bouger. Brusquement, elle le tira et posa sa bouche sur la sienne ; il pâlit et resta immobile. Elle recula bien trop vite.

Avec maladresse, il saisit ses mains et l'embrassa derechef, et il se mut contre ses lèvres pulpeuses en quête de sensations. Un désir les foudroya, des années qu'ils attendaient cela. Un lointain songe qui s'éveillait en eux.

La fosse des LamentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant