Au lieu de se morfondre ou de faire pleurer le Seigneur qui retenait sa détresse péniblement, Xian se redressa et sortit du lit. Car il avait enlevé sa robe pour se coucher, il la revêtit, scruté par les orbes nocturnes. Hiwang constata qu'il détenait une taille très mince, mais un torse assez musclé. Ses proportions se rapprochaient de la perfection des standards.
Le Jeune Maître distingua son regard sur son dos et ne s'en formalisa pas ; son cadet se renfrogna et jeta des œillades à son propre corps, pour les comparer. De son point de vue, il n'y avait rien à comparer. Le fidèle de Hù lǐ bénéficiait de courbes fournies, d'une musculature suffisante et un visage attrayant qui lui permettait de conquérir les demoiselles. Que demander de plus ?
Avec des pas élégants, l'aîné fit le tour du lit et s'assit pareillement à la veille, en tailleur, face au guzheng. Hiwang saisit son intention et se leva aussi, sans prendre le temps de s'habiller comme les convenances le demanderaient. Son pantalon et sa robe de dessous en soie magenta suffiraient. Ses cheveux tombaient gracieusement dans son dos et, effaçant la douleur de leur précédente conversation, il ricana avec joie en se munissant de son instrument et se laissa choir par terre. Il extirpa d'une armoire l'archer dont le crin était coincé par les deux cordes.
L'héritier décida de lancer les premières notes. Il pinça de sa main droite les cordes de son guzheng tour à tour, se focalisant sur les sonorités. Son autre main se chargeait des hauteurs. Il alterna les graves et les aigus à sa guise, en quête d'une mélodie agréable à l'oreille. Il se prêtait souvent au jeu de créer de nouveaux morceaux au gré de ses envies. Quand il se rangea sur un rythme régulier, Hiwang s'en inspira. Il ajusta sa prise sur l'archer et par le mouvement, il produisit des vibrations enchanteresses. Ils eurent besoin d'un bref moment pour coordonner leurs talents. Le Seigneur fit attention à ne pas trop faire pleurer son instrument, à garder un timbre plaisant, égayant.
— Eh bien, eh bien, vous jouez très bien, s'exclama l'aîné, à la suite de ce duo improvisé. Pratiquez-vous depuis longtemps ? Vous êtes vraiment doué. Plus que je ne le présageais.
— Allons, allons, Xian-Jun, ne me flattez pas trop ! railla ledit talentueux. Je vous rappelle que je me gonfle rapidement d'orgueil avec tant de compliments. Je jouais dans mon enfance, ma mère a insisté pour que j'apprenne et l'erhu ne m'a plus quitté.
— Que vous charmiez les demoiselles par votre charme naturel ou par votre côté fruit défendu, il n'empêche que vous pourriez tout autant les séduire par la musique. Elles tomberaient toutes autour de vous, folles amoureuses.
— La dernière fois que j'ai usé de la musique pour séduire, des jeunes demoiselles m'ont suivi des jours durant dans la capitale, à me réclamer quelques morceaux et j'ai fini par m'attirer les foudres de leurs pères. Je suis celui qui menace l'ordre commun, à la Cité des Rêveurs, pour le dire plus simplement.
L'aîné secoua sa tête d'un air décontenancé. En le provoquant, il s'attendait plus ou moins à ces réponses. Il ne comprenait pas pourquoi des personnes le haïraient à ce point, pour une question d'héritage.
Se raclant la gorge, il lui proposa de se vêtir proprement, de prendre un bain aussi, et de le rejoindre plus tard dehors. Pour ce dernier jour complet au Talion Infernal, Meng leur permettait une totale liberté. Ils pouvaient aller là où ils le souhaitaient. Hiwang, heureux au possible, opta pour de la chasse, ou la pêche, ou les deux, et le Jeune Maître accepta en pouffant avec tendresse à sa mine enjouée. Le Seigneur sélectionna une tenue inédite qui s'éloignait de ses habitudes. Une robe plus courte, arrivant au milieu du mollet, avec une ouverture sur les deux côtés afin de mieux se mouvoir. Il lui fallut une heure pour se nettoyer, puisqu'il profita de l'eau chaude pour apaiser ses muscles.
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La fosse des Lamentations
FantasyQuand le monde bascule dans l'ombre, seuls de véritables héros peuvent le sauver. Tout le monde pensait les connaître, que ce soient les cultivateurs, les prêtres, les immortels ou les mortels. Tous ont cru comprendre ce qu'avaient enduré les Champi...