Nul renouveau 1

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Xuegang, le second né après Xian-Jun, rêvait le plus de la mort de son aîné. Il ne le disait évidemment jamais à haute voix, mais il méprisait l'héritier parce qu'il ne savait pas comment jouir de son titre. Il se plaignait toujours et ne voyait pas sa chance, selon lui. Un homme imbu de soi qui s'inquiétait pour autrui par pur intérêt. Le pire représentant des principes de Zhī dào.

— Qu'il pleurniche en silence. Pourquoi nous ennuyer avec ses vaines jérémiades ?

Xuefeng, le troisième en liste, attendait fermement le trône, espérant que les deux premiers trépassent dans de malheureux accidents. Il ne prêtait pas attention au reste de sa famille et ne parlait surtout pas à Xian-Jun.

— Mon frère ? Qu'a-t-il ? Je ne me souviens plus l'avoir vu depuis des semaines...

Xuelan, le cinquième, songeait peu au pouvoir. Xuelin, le quatrième étant décédé durant l'attaque des Ombres, il pleurait encore cette mort, en deuil pour l'éternité. Un homme froid en apparence, mais qui aimait sa famille sans leur avouer. Après tout, entre eux, l'affection ne détenait pas sa place. Il se tourmentait parfois pour Xian-Jun, mais il ne le laissait guère paraître. Il jouait au jeu de la nonchalance pour cacher ses sentiments ; un amour réel pour ses frères et sœur.

— Son ami ? Mort ? Quel dommage... Ils étaient prometteurs ensemble.

Yin Lan, le sixième et le plus humain de tous. Il souriait sans répit et Hiwang l'aurait adoré. Ils s'étaient rencontrés brièvement à l'époque et Xian-Jun regrettait qu'ils ne se soient pas côtoyés davantage. Pour sûr, ils se seraient divertis à plaisanter et le Seigneur lui aurait appris à séduire les demoiselles, c'est qu'il était trop timide et bienséant pour courtiser.

— Nous regretterons tous le Seigneur Hiwang, mon frère plus que d'autre.

Aichan, leur jeune sœur, qui survivait parmi cette cruelle fratrie. Elle réussissait à tous les mettre d'accord, une prouesse en soi dont elle se vantait souvent. La douceur incarnée, surnommée officiellement Dame de Zhī dào, elle était adulée par le peuple. Grâce et intelligence se mariaient en elle ; sans fiancé pour le moment, tous lui tournaient autour. Son père la jetterait bientôt à un de ces vautours riches et nobles, mais elle priait pour garder sa liberté longtemps encore. Petit Sage et elle se préoccupaient de Xian-Jun avec sincérité ; ils tentaient de le convaincre que la vie continuait sans un proche, mais il se refusait à profiter des plaisirs de l'existence après ce qui était advenu à la Fosse des Lamentations.

— Sortez, je vous en supplie ! braillait-elle de l'autre côté de la porte. Le soleil brille, les oiseaux chantent, sortez à la Claire Prévoyance avec moi !

— Les hauts arbres dissimulent le soleil et les oiseaux ! contredit l'héritier, adossé à un mur, non loin de la porte. Le Patriarche me charge de devoirs importants ces jours-ci. Je me promènerai dès que j'en aurais le temps ! Xiao-Chan, pourquoi ne pas demander à Petit Sage de vous accompagner ? Père m'a confié la majeure partie de ses besognes, il doit affreusement s'ennuyer. Tenez-lui compagnie.

— Ne me forcez pas à appeler les gardes ! asséna-t-elle, d'une voix médiocrement en colère. Ils enfonceront cette porte sans mal et vous traîneront dehors ! Vous êtes si pâle ! Qu'importe que le soleil soit caché, profitez au moins de l'air frais.

Mais rien ne s'ouvrait et elle commençait à désespérer. À son tour, elle s'appuya contre le mur et se laissa glisser jusqu'au sol. Pratiquement tous les jours, elle réalisait cette comédie afin de le tirer à l'extérieur, mais son pavillon demeurait clos. Aucun visiteur n'était permis, car il ne souhaitait pas être déconcentré dans son travail. Ou dans ses réflexions torturées à propos d'un proche disparu. Le Seigneur Hiwang manquait à quelques-uns, en particulier à son frère qui ne s'en remettait pas. Sa mine se chargea de désolation et elle prit son ton délicat pour ne pas le brusquer. Elle devinait qu'il écoutait toujours, dans la même position qu'elle. Dos contre dos, une fine paroi de bambou les séparait, mais elle pénétrait dans son esprit comme dans un livre grand ouvert. C'était facile.

La fosse des LamentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant