La pluie diminuait pour seulement cracher quelques gouttes. Le jeune de Jiǎo huá ne pourrait plus rester dans sa Secte après ce qu'il s'apprêtait à faire ; Wujie le tuerait ou le torturerait, il tentera de se venger à coup sûr ; mais Liang comptait trop aux yeux de son amour pour qu'il l'abandonne aux mains de ce tyran.
Soupirant tous les dix pas, il s'arrêta brusquement face à un ridicule village aux maisons de bambou maintenues au-dessus du lac par des pilotis. Il raffermit sa prise sur son épée et ne tarda pas à entrer sur ce territoire répugnant. Du sang inondait les pontons entre deux demeures, il était dégoûté.
Yichen cogna à la plus large porte d'où des supplications se dégageaient.
Immédiatement, des guerriers lui bondirent dessus et il les massacra sans réfléchir aux conséquences. Il oublia son peu de pitié et son humanité, il élimina un à un ces hommes en se fichant éperdument de leur vie à côté des tueries organisées avec Wujie. Probablement étaient-ils mariés, pères, mais il apprécia leur ôter la vie. Cela faisait longtemps qu'il aspirait à éliminer cette bande de voyous. Ainsi, ils n'engendreraient plus de mal et ne terniraient plus autant la réputation de Jiǎo huá. Sa lame fusait, fendait l'air et embrochait une dizaine de corps. L'effet de surprise fonctionna à merveille. Jusqu'à ce qu'un silence ne tombe, coupé par les bruits d'agonie.
Le cauchemar de sa Secte le fixait, muet. Wujie était assis, un enfant sur ses genoux. Liang. Apeuré qui se cachait dans la manche de cet homme vil. Maintenant qu'il venait de tuer sous ses yeux, il ne lui accorderait certainement pas sa confiance. Yichen se contenta de penser à une solution. Se battre contre lui ou négocier pour emporter le garçon. Toutefois, son ennemi prononça une simple phrase de sa voix rocailleuse et écorchée qui l'étonna :
— Rejoins ce Xiansheng, mon garçon.
Confus, le petit hésita, il tituba vers Yichen, effrayé par le sang qui s'écoulait de son épée. Pour le détendre, il la remit dans son fourreau, s'accroupit et lui proposa ses bras devant lesquels il se tint sans franchir les derniers pas, comme face à un animal peureux.
— Wulong m'envoie, lui murmura-t-il et ses yeux humides s'illuminèrent, il se pressa contre lui. Nous allons le retrouver, attends un peu. Plus tu seras courageux, plus Wulong sera fier de toi.
Il n'en fallut pas plus à l'enfant pour maîtriser son envie de pleurer et ses tremblements. Yichen le décala derrière lui, le préservant de l'aura furieuse de Wujie qui se redressait et s'approchait d'eux. Cet homme paraissait très serein et silencieux, mesuré. Il pensait à tous les détails et agissait par la suite. Une poignée d'années les séparait, il possédait donc moins d'expérience au combat. S'il voulait engager un duel, le benjamin perdrait pour sûr. Cependant, son adversaire tut tous ses questionnements :
— Partez avec l'enfant, Yichen, puisque vous êtes apparemment venu pour lui... Mais, payez-en le prix.
Sur ce, il dressa sa main vers lui et produisit une onde de choc qui broya la jambe de Yichen. Un braillement de douleur s'échappa de sa bouche, terrorisant l'enfant qui gémit de peur. Il ne sentit plus son membre, brisé. La douleur se diffusa dans tout son corps. Wujie cessa son attaque en un battement de cils, mais les dommages étaient déjà faits. Il constata son œuvre. L'insolent qui avait tué ses hommes de main souffrait atrocement. Des os cassés, quelques-uns fragilisés, ses muscles brûlaient. Parviendrait-il à marcher ? Qu'il s'enfuit après cela ! C'était mal le connaître ; il ne renoncerait pas à Liang.
Malgré la douleur dans sa jambe, il appuya sur la valide et se releva. À vrai dire, Wujie s'impressionna de sa bravoure qui se mêlait à sa détermination. Il n'entreprit rien de plus pour l'empêcher de partir, saluant sa témérité de véritable soldat. Il l'avait battu de nombreuses fois ici même et à chaque fois, le jeune homme subissait en contenant ses cris souffrants. Yichen sauta à cloche-pied et sortit comme ceci de la demeure, sans plus de combat.
La pluie n'était plus, mais la boue demeurait. Liang le suivait en trébuchant régulièrement ; il manqua une marche et tomba sur ses genoux, mais il se redressa en un instant. Des sanglots transperçaient la barrière de ses lèvres et il résistait pour ne pas décevoir Wulong, pour le rendre fier de lui. Dès qu'ils quittèrent le village, le jeune de Jiǎo huá s'écroula dans la terre mouillée, en geignant bruyamment. Il rassembla son énergie et essaya de se soigner. Il n'y parvint qu'à moitié. Au lieu de gaspiller son pouvoir – il n'était pas alchimiste, il ne savait pas guérir –, il décida de dissiper la souffrance. De la sorte, il ne sentait plus toute sa douleur. Il ressouda ses os d'une façon laborieuse.
— Ne te tracasse pas, petit ! souffla Yichen, au regard luisant du garçon. Nous reverrons tous les deux Wulong très vite... Laisse-moi un peu de...de temps...
Vidé de sa spiritualité, il se traîna sur plusieurs pas, mais ne réussit plus à avancer. Liang voyait bien qu'il s'évanouirait bientôt, trop tôt. En plein territoire inconnu, Yichen tourna de l'œil et il échoua à mener l'enfant hors de Jiǎo huá.
Il ne sut rien de la suite des événements, il côtoya les ténèbres longuement. Il ne découvrit pas la vaillance de ce garçon qui, à sa chute, ne paniqua pas et garda ses esprits. Il réfléchit à ce qu'aurait fait Wulong. Il tira durement son corps contre un arbre, à l'abri de la route, et courut dans la forêt, mémorisant chaque chemin qu'il empruntait pour y revenir. Il distingua le son d'une rivière et la longea, certain qu'un village se serait développé non loin.
Il dénicha un ridicule amas de demeures dont l'écurie se trouvait à l'écart. Il patienta sagement la nuit qui tomba en moins d'une heure, quand plus personne ne brossait les chevaux, et il en déroba un. Le petit peina à l'enfourcher, et les habitants comprirent trop tard qu'une monture s'était envolée.
Le guerrier de Jiǎo huá ne sut pas qu'il s'était éveillé une minute, grâce aux gifles du garçon qui l'implora de se hisser sur le cheval et qu'il s'y était efforcé, inconscient. Liang galopa un jour et une nuit, toute une matinée, guidé par les quelques réactions de Yichen, et arriva enfin à la frontière. Il ne comptait pas s'arrêter, allant jusqu'à Hù lǐ.
À l'écart, sur le bord des chemins, il aperçut les habits familiers de son Shū shu. À toute vitesse, il tira sur les rênes.
Non, Yichen n'avait pas non plus repris connaissance au moment où le petit avait tout exposé à Wulong qui s'était terriblement inquiété pour son cadet.
Ce dernier se réveilla subitement, sursautant dans son sommeil sans rêve. Sa tête lui tournait, un temps s'écoula avant qu'il ne puisse se lever. Les souvenirs ancrés dans sa mémoire, il se demanda pourquoi et comment il pouvait utiliser sa jambe brisée sans qu'il n'en gémisse de douleur. Il détailla la pièce où il était enfermé. Sobre, épurée, très simple, mais avec un tas de matériel médical.
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La fosse des Lamentations
FantasíaQuand le monde bascule dans l'ombre, seuls de véritables héros peuvent le sauver. Tout le monde pensait les connaître, que ce soient les cultivateurs, les prêtres, les immortels ou les mortels. Tous ont cru comprendre ce qu'avaient enduré les Champi...