La fosse des Lamentations

Sous la voûte ensommeillée 2

Une brise souffla entre eux.

Hiwang n'entendait pas raison, il se terrorisait lui-même. Ces pouvoirs, peut-être qu'il les accepterait un jour. Après tout, comme l'avait souligné son ami, il pouvait toujours les entretenir et les apprivoiser. Mais pas les ténèbres qui le rongeaient. Au moment d'enclencher cette magie, un bien-être se diffusait dans son corps et cette sensation de confort le répugnait. Cela l'écœurait de prendre du plaisir à générer une telle magie. Tant qu'il ne l'identifierait pas, qu'il ne la nommerait pas, le Seigneur s'en méfierait.

L'héritier le saisit parfaitement et il baissa les bras...pour ce matin. Cela ne mènerait à rien de dialoguer avec lui, alors que Xian était tout aussi troublé. Il voulait le réconforter, c'est tout.

Désormais, il le distrairait. Et une idée germa. Peut-être qu'un bon vin lui remonterait le moral. Lui indiquant qu'il s'éclipsait une minute et qu'il ne devait pas s'éloigner, Xian-Jun se hâta vers le pavillon, y entra en trombe et fouilla entre les divers alcools à leur disposition. Quelques-uns se réveillaient déjà, dont Wulong qui se levait tôt à l'accoutumée et Meiling qui continuait sa nuit entre deux coussins dans la salle principale.

Yichen entra dans la salle commune, son serpent rampant près de lui. Il mâchouillait négligemment un bâtonnet de calamar séché. Ses yeux se posèrent en premier lui sur Wulong et le Jeune Maître s'amusa d'assister à ce manège quotidien. L'alchimiste rougissait, le benjamin souriait ; de temps en temps, son cadet lui glissait deux mots à l'oreille et il s'empourprait un peu plus. Ce matin, puisque le jeune de Jiǎo huá remarqua le vin dans ses mains, il s'intéressa à lui. Ils se saluèrent vivement et joignirent l'extérieur où Hiwang patientait sagement.

En distinguant le reptile, le Seigneur cria dans les aigus, ne pouvant réprimant sa voix fluette. Le Jeune Maître se positionna près de lui, mais c'était trop loin à son goût. Il bondit dans son dos, attrapant ses épaules avec vigueur et se collant à lui. Yichen ricana, égayé par la réaction prévisible du fidèle de Hù lǐ. Il lui épargna des questionnements sur ses pouvoirs, d'humeur joyeuse, mais ne retint pas son envie de le taquiner.

— Jolie aime bien la fraîcheur du matin, exposa Yichen, ralentissant près de l'angoissé, narquois. La prochaine fois que vos forces spéciales réapparaissent, ma Jolie s'occupera de vous ; son venin peut endormir le plus résistant des hommes et selon la dose, le poison tuera. Donc, tâchez de ne plus m'attaquer, merci.

Sur ce, ayant semé sa graine d'anxiété, le benjamin poursuivit son chemin et disparut avec son serpent. Hiwang tremblota, fixé sur les omoplates du Jeune Maître, jusqu'à ne plus l'avoir dans son champ de vision. Il râla et injuria le guerrier de Jiǎo huá, maudit son reptile et rouspéta sur ce caractère joueur et insolent au possible. Quand il se rendit compte de sa proximité outrageante avec l'héritier, ses orbes s'écarquillèrent, ceux-ci étaient teintés de la même couleur que le ciel nuageux du matin. Il s'excusa platement et se détacha, s'inclinant par politesse et par habitude. Xian lui sourit et lui promit d'une mélodie chaleureuse :

— Ne l'écoutez pas, ce serpent ne vous approchera pas.

— Qui l'en empêchera ? s'enquit Hiwang, absolument révulsé par l'animal. Elle rampe et persifle à mes oreilles ; la nuit, je suis persuadé qu'elle rôde dans ma chambre, je l'entends parfois !

— Je l'empêcherai, répondit d'un haussement d'épaule Xian-Jun.

Le cadet ancra son regard dans celui du Jeune Maître et lui adressa un drôle d'air. Il songea que ces mots étaient prononcés pour le conforter et qu'il n'y attachait pas de sincérité. Toutefois, Xian comptait bien le protéger de ce serpent autant que nécessaire. Depuis qu'il avait vu sa phobie terrible au bain chaud, l'héritier ne rechignait pas aux prises de son ami quand il s'accrochait à ses épaules, il supporterait également ses geignements plaintifs et les multiples insultes qu'il déblatérait. D'un geste souple, il enleva les peaux recouvrant les jarres et en tendit une à Hiwang. Celui-ci la saisit gaiement et en renifla l'effluve douce mais un brin piquante.