Le Talion Infernal 3

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Le Jeune Maître suggéra à la bâtarde d'errer ensemble sur le marché, là où le Talion Infernal s'animait encore. Pendant que Hiwang jouait à son meilleur jeu.


« C'est étrange, mes yeux reflètent quelque chose de personne...vous. »

« Je n'aime pas toutes les femmes, bien sûr ; par contre, je vous aime, vous. »

« Vous illuminez cette soirée par votre seul sourire, ma douce, uniquement vous. »

Il terminait toutes ses phrases par « vous » et elles tombaient toutes pour lui. Ses techniques quelque peu démodées marchaient toujours sur les femmes à la recherche de relations brèves. Peu importaient les mots, son joli minois l'emportait davantage.

Il en sélectionna une, au hasard, et ils partirent quelque part, sûrement chez la demoiselle. Il ne savait pas trop, un peu ivre. Il chancelait et riait.

Au final, ceux qui résistèrent le plus longtemps, ce furent Muwen et Meiling qui se divertirent comme deux enfants. Ils prononçaient une boutade incompréhensible et gloussaient bruyamment sans aucune raison. En bref, ils s'étaient bien trouvés. Au bout d'un moment, la fête battait encore son plein, ils titubèrent, ou se traînèrent, jusqu'au pavillon. Ils rampèrent pratiquement pour monter les six marches, s'esclaffant de leur ridicule. Ils ouvrirent péniblement la porte et oublièrent de la refermer, gelant l'habitat.

— L'autre jour, s'écria Muwen, en appuyant les syllabes, l'oracle m'a prédit un mariage grandiose ! Voulez-vous entendre un secret ?

— Je ne répéterai pas ! Chut ! Promis ! affirma Meiling, puisqu'elle ne s'en rappellerait pas demain.

— Oh ! quelle femme de confiance ! Je vous adore.

Le fiancé s'écrasa lourdement au sol à ces mots, ne tenant plus sur ses jambes. Présumant qu'il était temps de s'allonger sur le bois froid, la chasseuse l'imita. Elle se jeta par terre et se dressa avec difficulté sur ses coudes. Ils s'efforcèrent de se regarder droit dans les yeux, mais ils ne cessaient de baisser un peu le regard. Muwen s'avança et elle aussi, à moins d'un mètre.

— Je ne me marierai pas, je pense. Mais, chut, hein ! avoua-t-il, en un souffle puant l'alcool. Jia Li, ma chère et tendre, me repousse encore et encore. La volonté de son père ne pèse rien contre son dégoût pour l'union. Notre Patriarche ne rompra pas nos engagements, mais elle ne les acceptera pas non plus, alors je finirai mes jours à ses côtés, seul et sans espoir.

— Cela vous rend-t-il malheureux ? questionna-t-elle, une moue désolée.

— Oui ! se lamenta-t-il, en un cri de désespoir. Je veux une épouse fidèle que j'embrasserais en rentrant dans mon domaine, des enfants à n'en plus les compter qui poursuivront ma lignée. Je veux ma vie de rêve ! L'amour et la loyauté. Le pire... c'est que je ne reproche rien à Jia Li. Je la comprends ; si j'avais pu décider, je ne m'aurais pas choisi !

La chasseuse ne put retenir son mouvement et son front vint rencontrer abruptement l'épaule de l'homme. Il explosa de rire, effaçant ses doutes en un éclair. Cependant, Meiling souhaitait répliquer. Au prix d'un grand effort, elle leva sa tête lourde face à lui et Muwen ricana de moins en moins, confus par son air déterminé. La gorge soudainement sèche pour les deux. Les mains de la chasseuse encadrèrent les joues de l'homme qui s'immobilisa, étonné, mais loin d'être offusqué.

Et elle l'embrassa.

Comme il le désirait.

Un baiser chaste qu'un époux adresserait à son épouse chez lui, à la fin d'une épuisante journée. L'Assaut du Diable pervertit leurs âmes et en une seconde, ils finirent enlacés dans la chambre d'un des deux.

Une nuit de tendres baisers s'annonçait pour eux.

Dans les rues du Talion Infernal, Xian et Jia Li se promenaient sans penser à la meilleure amie de l'un et au fiancé de l'autre. Sans piper mot, ils se perdaient dans des passages étroits, observaient distraitement des échoppes. Jusqu'à ce qu'un rire tonitruant retentisse à leurs oreilles. Ils ne le reconnurent pas, mais ils regardèrent machinalement vers la provenance du son tapageur. Une femme s'accrochait au bras d'un Hiwang qui manquait de tomber à tous ses pas. A priori, l'Assaut du Diable avait bien travaillé dans son corps, également.

— Attention ! prévint-il. Vous allez tomber ! 

La courtisane se gaussa gentiment de lui ; des deux, il était le plus mal-en-point. Il chancela en avant, absolument hilare, mais se calma en croisant un regard de glace. Xian le scrutait avec sévérité, jugeant ouvertement son comportement indigne d'un Seigneur. Il agissait comme Meng l'espérait, en se dépravant et en amusant les passants. Hiwang crut dégriser dans l'instant. La femme le remarqua et pensa à juste titre qu'elle devait partir, et vite. Jia Li le présagea aussi et elle prit congé, à la suite d'une inclination envers le Jeune Maître.

Tous les deux, face à face dans une ruelle relativement vide, le fidèle de Hù lǐ tint droit par miracle, mais toute son euphorie disparut. Il se plaça près de l'héritier qui ne parlait pas, mais qui consentit à s'adoucir un peu. Trépignant d'un pied à l'autre, Hiwang triturait ses doigts, d'une moue contrite, les yeux dirigés sur le sol. Rien autour d'eux ne dérangeait ce silence apaisant. Dans une bulle de laquelle ils ne voulaient pas s'échapper, Xian repensa à leur dernière rencontre. La Fosse des Lamentations l'avait laissé pantois et abasourdi, rempli de réflexions par milliers.

— Vous n'auriez pas dû négliger votre conquête pour moi, elle s'est enfuie ! 

— Ce sont vos orbes assassins qui l'ont forcée à déguerpir ! rétorqua le Seigneur, grimaçant. Toutefois, je ne lui portais pas grand intérêt. Je vous pardonne. D'ailleurs, pourquoi cette expression renfrognée sur votre visage ? Vous dégagiez une telle aura. Vous m'avez fait froid dans le dos. J'en soupçonnerais presque que les rumeurs sur nous sont fondées ! Le saviez-vous ? Depuis les Colères Démesurées, les peuples nous estiment amis, et même très proches... Quelle sordide perspective ! Ne trouvez-vous pas ?

— Je qualifierais de sordide ce que vous avez été capable d'engendrer à la Fosse des Lamentations, asséna Xian.

Deuxième coup pour le Seigneur. À l'évocation de ce terrible souvenir, il pâlit et vacilla à reculons. Il tenta de s'éloigner. Mais, une main s'enroula autour de son avant-bras et le retourna. Le Jeune Maître le scrutait de si près. Hiwang en frissonna. Là-bas, à la sortie du gouffre, il s'était évanoui. Il savait parfaitement quel type de magie il avait utilisé, mais il le niait bec et ongles. Il n'évoquerait sous aucun prétexte cette puissance sombre que son corps avait produite. Il la redoutait. Il ne suspectait pas qu'elle grandissait en lui, qu'elle se développait au fond de son être, au point de réagir de son propre chef dans une situation de survie.

— Les gens de Jiǎo huá, détenteurs de la magie noire, ne s'enfoncent pas autant dans de tels extrêmes. La noirceur de votre pouvoir, susurra Xian...elle aurait effrayé n'importe qui. En toute honnêteté, elle m'a terrorisé. Lorsque vous vous êtes effondré, j'en ai déduit qu'elle vous avait tué, parce que vous n'aviez rien contrôlé. Mais, vous respiriez encore.

— Je ne la contrôlais pas, affirma Hiwang.

Ses yeux s'humidifièrent, son corps vibra. Il s'efforça de ne plus y penser. Pourquoi Xian-Jun abordait-il cette affaire résolue ? Sûrement parce qu'elle ne l'était pas et que cette magie ténébreuse le hanterait encore. Le Jeune Maître sentit ses tremblements, il put flairer sa fragilité. Il devina alors que son cadet n'avait pas de justifications à lui donner, aucune explication. De tous les membres, il avait été le seul à assister à son implosion. Le seul à être témoin. Il mourrait d'envie d'en savoir davantage. Toutefois, il constata l'état dans lequel il le mettait. Hiwang retrouva ses esprits et trébucha jusqu'au pavillon sans un mot. Clément pour aujourd'hui, il abandonna. Mais, demain serait un autre jour.


La fosse des LamentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant