Jia Li guidait son cheval au pas à travers les routes mystérieuses de sa Secte. Les Courants Enchantés se distinguaient des autres territoires par les omniprésents ruisseaux, les lacs abondants, les marécages dans les zones reculées ; les roseaux, les lotus et les nénuphars apparaissaient sur chaque point d'eau. Seul quelqu'un de son peuple pouvait chevaucher au milieu de ce labyrinthe sans tomber dans des sables mouvants ou des étendues de boue. Les étrangers ne se risquaient pas souvent à parcourir Mó fǎ ; au contraire, ils l'évitaient. Mais, elle savait comment apprécier le voyage, puisqu'elle choisissait méticuleusement ses chemins. Son regard vagabondait sur cette nature époustouflante, elle adorait retourner chez elle malgré la haine de ses gens.
Une longue année de deuil venait de se terminer.
En ce jour peint d'une triste mémoire, elle rentrait d'une journée commémorative. Cette dernière avait été organisée par Wulong dans un élan téméraire pour se souvenir d'un sacrifice datant d'un an déjà. Depuis que le Seigneur Hiwang avait refermé la Fosse des Lamentations, aucune Ombre n'était parvenue à s'en réchapper. Ce monde vivait en paix grâce à lui. Sa mort serait pour toujours considérée comme un acte de pure bravoure.
L'alchimiste avait insisté pour que les proches de cet homme formidable se rassemblent en son honneur et le gratifient de louanges et de prières. Muwen et elle avaient bien entendu répondu présents, ainsi que Meiling et Yichen. Pas Xian-Jun. Il ne quittait plus Zhī dào, se chargeait des affaires de son Clan et se noyait dans ses devoirs officiels. Le Jeune Maître qu'ils connaissaient avait péri en même temps que son ami ; ne restait plus qu'une carapace vide de sens et de sentiment.
— Nous arrivons bientôt ! s'exclama la voix enjouée de Muwen. Apprêtez-vous à découvrir la plus belle des quatre capitales. La Cité des Rives Prodigieuses éblouit autant par sa beauté que par sa vivacité ; nuit et jour, des spectacles sont présentés et personne n'en ressort déçu, croyez-moi ! Nous vous impressionnerons, pour sûr !
— J'attends de voir avant de juger, répliqua Meiling, espiègle. N'oubliez pas que vous vous adressez à une enfant de Zhī dào. La Sagesse Altruiste charme l'ensemble des peuples depuis toujours. Ma Secte dépasse de loin toutes les autres.
— Vous changerez d'avis après avoir visité les Rives Prodigieuses, affirma le fiancé de Jia Li, certain de subjuguer son amie avec le panorama.
L'aînée roula des yeux. La bâtarde en avait assez d'entendre les roucoulements de ces deux-là. Elle se fatiguait de leur complicité et de cette amitié qui ne cessait de croître. Elle y mettrait fin si elle possédait une quelconque emprise sur son fiancé. Or, depuis quelques temps, ils agissaient en inconnu l'un envers l'autre, alors elle n'avait pas le droit de lui dicter sa conduite. Les deux M lui créaient un embarras constant dès qu'ils se voyaient. Se montrer avec une autre femme en présence de Jia Li revenait à bafouer leur engagement. Puisque son peuple ne l'appréciait pas déjà, ils commençaient à se moquer d'elle ou à accuser Muwen de tromperie, ce qu'elle présumait également. Cela ne l'étonnerait pas, en tout cas.
— Qu'en pensez-vous, Li ? s'enquit-il, joyeusement. Vous qui avez traversé toutes les Sectes, la nôtre n'est-elle pas la plus remarquable ?
Elle ne répondit pas, agacée. Comment avait-il pu inviter cette femme au sein de leur capitale, aux yeux de tous ? Elle contrôlait à peine sa colère et l'aurait très certainement réprimandé avec force, mais il paraissait trop heureux pour subir ses foudres. D'un côté, elle était contre cette intimité qui empiétait sur leurs fiançailles. D'un autre, il s'amusait beaucoup plus avec Meiling qu'avec elle. Jia Li ne lui offrait que de l'ennui et des rejets, de longs silences et des roulements d'yeux. Elle devait avouer qu'elle ne s'occupait pas de lui, qu'elle l'ignorait toute la journée et qu'elle ne demandait surtout pas de ses nouvelles.
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La fosse des Lamentations
FantasyQuand le monde bascule dans l'ombre, seuls de véritables héros peuvent le sauver. Tout le monde pensait les connaître, que ce soient les cultivateurs, les prêtres, les immortels ou les mortels. Tous ont cru comprendre ce qu'avaient enduré les Champi...