Les Champions des Sectes 1

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Xian prit une profonde inspiration. Les mains croisées, le dos droit, la tête haute, il exhibait son visage poudré à ceux qui osaient le contempler. En réalité, le maquillage lui apportait un teint d'albâtre envié par certains et lui conférait une peau laiteuse et souple. Beaucoup jalousaient ses joues de porcelaine, et ce n'était qu'artifices. S'il enlevait ce masque immaculé et dévoilait ses cicatrices, il retombait dans la laideur. Sa beauté était louée à travers le monde, sauf à Zhī dào. Dès qu'il quittait sa Secte et se distançait des rumeurs qui s'y propageaient, il devenait un modèle pour les jeunes hommes.

— Grand frère sort enfin de sa tanière ! fit le sixième Jeune Maître, Yin Lan. Depuis quand es-tu enfermé dans ton pavillon ? Ah oui, depuis tes prouesses à Jiǎo huá. Le monde extérieur t'a-t-il manqué ?

Le Comptoir des Neuf Dragons, un carrefour populaire entre les quatre Sectes, qui accueillait marchands et visiteurs, un havre de paix en dehors des tensions, maintenu en ordre par tous les Patriarches ; il n'y avait jamais mis les pieds. Chaque noble devait obligatoirement se montrer ici, au plus jeune âge ; une histoire de réputation. Mais, son père n'avait jamais trouvé le temps pour l'y amener et, après son incident avec le démon, il n'avait plus quitté Zhī dào.  

Ce jour était exceptionnel. Il voyageait à l'extérieur de son territoire et déambulait sur la place principale, comme jamais auparavant il ne s'y était essayé. Au contraire de ce qu'il s'imaginait, le Jeune Maître ne reçut ni regards désobligeants, ni messes basses sur son physique disgracieux, même si son vêtement révélait parfois le haut de sa cicatrice boursouflée. En ce lieu paisible, nul ne prononçait de méchanceté, nul ne cherchait à se battre, pour le bien commun.

— Profite de ces quelques jours, nous rentrons bientôt, petit frère, se sentit-il forcé de répondre.

Son benjamin ronchonna quelque peu, mais il était accoutumé à cette austérité. Il était visiblement ravi de fouler le sol de cet endroit et déçu de devoir en partir sous peu. L'héritier avait été invité pour l'ouverture de la Saison de l'Enseignement, un événement qui annonçait le début des entraînements aux arts martiaux pour les Seigneurs. Il ignorait pourquoi, lui, devait présider cette cérémonie traditionnelle, mais le Patriarche lui avait interdit de décliner l'offre.

En ce début d'après-midi ensoleillé, il marchait à travers les échoppes, en compagnie de son frère le plus jeune, qui adorait rencontrer des gens, a contrario de lui. Parce que son benjamin ne fréquentait pas grand monde, y compris les Jeunes Maîtres des autres Sectes ou ses propres frères, et qu'il souhaitait lui faire plaisir pour une fois, Xian fournissait un effort incommensurable pour le suivre dans ses sociabilisations. S'il entamait une conversation avec un artisan, Yin Lan insistait pour apprendre son travail ; s'il croisait une femme à son goût, il la charmait impunément ; s'il appréciait une estampe, il ordonnait à ce qu'on dessine son portrait. Et l'aîné subissait, en silence. Heureusement qu'il l'aimait, sinon il l'aurait abandonné là.

Alors qu'ils observaient des bijoux, et que le jeunot souhaitait en acheter un pour leur sœur, l'héritier frissonna. Chez lui, il était fixé sans répit et il savait donc comment détecter les regards indiscrets sur lui. Il ressentait le poids d'une paire d'yeux, mais aujourd'hui, c'était différent. Il n'avait pas l'impression d'être jugé, ou menacé. Perturbé, Xian agrippa fermement le bras de son frère et le tira dans une ruelle adjacente sous ses exclamations indignées, puis tourna et le bloqua rapidement contre un mur. Lui faisant signe de se taire, Yin Lan obtempéra, docile, surtout quand il dégaina son épée. L'aîné entendit des pas se rapprocher promptement de leur position. Prêt à les défendre, il tendit l'oreille.

— Attention ! hurla son frère.

Un bras dépassa et il l'attrapa immédiatement, tournoyant avec l'individu et le plaquant au sol, l'arme pointée sur son menton. Xian coinçait l'homme sous son poids, et celui-ci lui montra ses mains, en signe de soumission. Yin Lan s'approcha et se pencha au-dessus des deux, sondant l'inconnu. Ce dernier, perplexe d'avoir été littéralement jeté dans les airs pour chuter en toute lourdeur sur les pavés de la rue, souriait tout de même avec innocence. L'héritier soupira, prouvant son mécontentement, et se releva aussitôt. À son air bougon, le benjamin questionna son frère.

La fosse des LamentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant