L'aube se dessinait à l'horizon, l'air tempéré de saison était si agréable. Le Seigneur cligna des paupières, avant de les soulever pour de bon. Il ressentait la magie bienveillante d'un alchimiste l'envahir et ruisseler dans son être, elle apaisait son essence agitée ; il reconnut aisément la marque de Wulong. Il le remercierait plus tard.
Tout d'abord, Hiwang voulut se redresser. Son corps était resté immobile longtemps à en juger par les courbatures, ses mouvements furent compliqués au début. Surtout que des doigts fins étaient fermement accrochés à sa jambe blessée. Son regard remonta le long du bras et discerna un visage endormi et reposant sur le rebord du lit, le reste du corps traînant sur le sol.
Il s'étonna de discerner les traits fatigués de l'héritier. Celui-ci produisait de discrets ronflements. Combien de temps avait-il veillé sur lui ? Autant qu'il avait pu jusqu'à capituler face à l'implacable sommeil.
— Un Jeune Maître ne devrait pas s'éreinter pour un pauvre Seigneur, murmura-t-il, la gorge asséchée.
Le fidèle de Hù lǐ sourit néanmoins à cette vision. Il appréciait les efforts de l'héritier pour l'aider, mais il ne le méritait peut-être pas. Soudain, Hiwang se remémora ses actions, la noirceur qui l'avait habitée. Il éprouva une profonde culpabilité envers Xian-Jun et Yichen qui avaient valsé dans les airs et qu'il aurait pu gravement amocher dans sa folie. Il déglutit à ces souvenirs. Les remords l'accaparèrent et il souhaita sortir prendre l'air.
Délicatement, il saisit la main du Jeune Maître et la décala, puis il se tira hors des draps. En plus de calmer son esprit, la magie de Wulong l'étourdissait, sûrement pour ne pas qu'il bouge trop. Le Seigneur prit un certain temps à se mettre debout. Il enfila son pantalon noir entièrement recouvert par sa robe épaisse – la grise pale – ainsi que ses bottes, au prix d'une colossale énergie. Ses cheveux détachés, il les noua brièvement en un chignon tombant. À travers le miroir, il ne se jugea pas présentable. Un noble ne s'habillait pas de la sorte, il s'apprêtait davantage et mettait en valeur ses atouts. Mais il était exténué, il alla à l'essentiel. Parmi les Seigneurs, un code vestimentaire bien précis était ordonné, mais il ne voulait pas l'appliquer aujourd'hui. Il avait seulement envie de respirer de l'air frais.
D'une lenteur ennuyante, il quitta le pavillon et inspira un grand coup, faisant entrer de longues bouffées d'air dans ses poumons. Le Seigneur descendit attentivement les quelques marches et se dirigea vers le petit jardin qui entourait leur résidence temporaire. Il marcha un moment, sa jambe ne lui provoquait plus de douleur, mais il boitillait. Il ne se débarrasserait pas de sa faiblesse. Il profita de la fraîcheur de la nuit et tourna longuement dans les environs, pour réfléchir, se remettre les idées en place. Hiwang revint près de la porte où une mine inquiète guettait son retour. Le Jeune Maître avait l'air très préoccupé.
Il aperçut vite Hiwang et un soulagement se peignit immédiatement sur ses traits. Il s'avança vers lui et le Seigneur esquissa un étirement de lèvres qui se perdit dans le mouvement. La honte le tiraillait encore. Il se souvint de l'avoir propulsé. Il aurait pu lui fracturer quelques os dans la chute, engendrer des séquelles irréversibles. Ce combat avait dégénéré sans qu'il ne puisse se contenir et en plus, il avait été conscient de tout. Malgré son sentiment intérieur de malaise, ce fut une plaisanterie qui franchit la barrière de sa bouche, avec peine :
—Vous me fixez tout le temps. L'avez-vous remarqué ? Je dois être très séduisant.
— C'est vrai. Je me demande souvent comment un homme aussi plaisant que vous est capable de détruire une flopée de démons en une fraction de seconde ou de se transformer en un adversaire féroce tout à coup.
— Même suivre les préceptes de Hù lǐ et être un bon garçon, je n'ai pas su le faire.
L'héritier ne l'avait pas épargné dès sa première phrase. Il le gratifia d'un regard reconnaissant ; en réalité, le Jeune Maître avait été très clément avec lui, puisqu'il n'avait pas abordé le sujet juste après la Fosse des Lamentations. Ou, du moins, il n'avait pas persévéré. Il lui avait accordé sa confiance, le bénéfice du doute... Au final, Hiwang s'en était pris à lui la veille. Qu'est-ce qu'il regrettait d'avoir repoussé la conversation. Son corps avait façonné cette magie noire, pas lui, pas volontairement. Bien que son désarroi était évident, Xian-Jun désirait poser des questions, comprendre.
VOUS LISEZ
La fosse des Lamentations
FantasyQuand le monde bascule dans l'ombre, seuls de véritables héros peuvent le sauver. Tout le monde pensait les connaître, que ce soient les cultivateurs, les prêtres, les immortels ou les mortels. Tous ont cru comprendre ce qu'avaient enduré les Champi...