Lorsque les prédateurs terminèrent de dévorer les proies, des guerriers munis de lances se précipitèrent en soulevant le sable. Les guerriers devinrent des prédateurs et les prédateurs devinrent des proies. Le serpent se faufila rapidement et il échappa donc à la tuerie, mais le loup n'eut guère cette chance. Transpercé de toute part, il gît bientôt dans un bain de sang, les pattes éparpillées, la langue pendue ; et Muwen vomit une seconde fois sous le sourire diabolique de Meng. Bien que l'alchimiste ne levait pas ses yeux humides et qu'il ne voyait pas la scène, il la ressentit. L'aura éteinte de ce loup le heurta de plein fouet et il reçut mille décharges de haine, de douleur et de peur. Ce loup avait poussé son ultime soupir dans la crainte absolue.
— J-Je ne le tolère plus, susurra Wulong.
Ce dernier se retrouvait au bord de l'évanouissement, son corps se secouait de plus en plus. Son visage était enterré dans l'épaule du jeune homme, mais il percevait tous les sons ; les hurlements d'agonie, les grognements de défense, les supplications des bêtes qui imploraient une mort rapide. Yichen présagea qu'il ne supporterait pas cette ambiance répugnante longtemps. Il l'éloigna de lui, uniquement pour glisser ses mains sous ses jambes et dans son dos. Il le porta avec aisance, grâce à sa musculature développée, et Wulong était léger pour le gabarit du guerrier. Ses compagnons se tournèrent vers eux et il leur fit un signe de tête qu'ils comprirent. Il amenait le sensible à l'écart de ce spectacle grotesque et dégoûtant.
Toutefois, il n'accéda pas aux escaliers. Des gardes lui barrèrent le chemin. Son sourire colérique, qu'il avait effacé au fil des jours avec l'alchimiste, s'installa derechef sur ses lèvres. Ce rictus menaçant qui fit hésiter ses hommes armés et bien bâtis. S'ils ne se poussaient pas, il les battrait à mort.
— Rassis-toi ! aboya une voix derrière lui. Le divertissement commence à peine. Tu ne voudrais pas décevoir ton Patriarche. Assis, c'est un ordre ! Ou l'on te rossera de coups jusqu'à ce que tu implores autant que ce loup !
— Obéis, souffla Wulong.
Son regard s'ancra dans celui larmoyant de l'alchimiste. Yichen tremblait également, il refusait d'être dominé ainsi et de le laisser souffrir. Mais, les yeux de l'alchimiste étaient sans appel. Il lui commandait de s'asseoir et de ne pas créer une petite rébellion. Le Patriarche en profiterait pour l'humilier devant tout le monde et il ne voulait pas en être la cause. Réticent, le jeune homme obtempéra à reculons. Il se rassit, mais déposa Wulong sur ses cuisses, l'interdisant de se lever quand il essaya de se détacher. Meng ricana, gonflé d'orgueil.
— Tu m'as tutoyé, petit alchimiste. J'ai bien aimé ce ton autoritaire. Continue à t'adresser à moi, de la sorte.
Cette tentative pour lui arracher un sourire échoua, mais les pleurs se tarirent, ce qui était un bon début. Après les animaux, la magie de Jiǎo huá fut présentée par des maîtres ensorceleurs. Une énergie ténébreuse qui terrorisa Wulong. Il se recroquevilla tellement contre le plus jeune qu'il se fondait presque en lui. Sa spiritualité était bouleversée par cette noirceur. Il ne s'en remettrait pas de sitôt. Les Ombres de la Fosse des Lamentations le faisaient moins souffrir.
Yichen s'évertua à le réconforter du mieux qu'il le pouvait, sous les regards odieux de son régent. Il caressait son dos et lui tirait quelques frissons, Wulong rouspétait et le demandait d'arrêter, de plus en plus conscient et gêné de leur intimité, mais le jeune homme se contentait de lui décocher des sourires flamboyants ou des clins d'œil ravageurs pour le distraire un peu de l'horreur en bas.
De son côté, Hiwang scrutait d'orbes étranges cette magie. Le Jeune Maître s'interrogeait à son sujet. Il admirait le spectacle avec une attention sordide. Ses poings s'étaient refermés et ses jointures blanchissaient, son aura devenait très sombre. Xian voulut lui parler pour le questionner, mais les ensorceleurs s'évaporèrent dans des écrans de fumée. Instantanément, le Seigneur relâcha tous ses muscles, prit une profonde respiration et cligna des paupières avec frénésie. Qu'est-ce qu'il avait ? Son comportement intriguait l'héritier et il se promit d'enquêter après l'événement.
— Épatant ! s'exclama Meng à toutes les tribunes. Quelle joie ! Je serai toujours féru de ces représentations grandioses. À présent, afin de conclure cette journée en une touche festive, je vous invite à un bal. Seulement, avant cela, je suis curieux d'une chose... Depuis le Comptoir des Neuf Dragons, des mois se sont écoulé... Qui gagnerait un nouveau combat entre nos quatre héros des Colères Démesurées ? Souhaitez-vous le découvrir ?
La foule, composée de gens de Jiǎo huá, se rangea évidemment du côté du Patriarche. Les quatre arborèrent dans l'instant des mines hargneuses, ils ne désiraient absolument pas combattre ; la dernière fois avait suffi. Les visages fermés, ils n'avaient pas vraiment le choix. La proposition de Meng sonnait plutôt comme un ordre et le rejeter reviendrait à défier son pouvoir. Puisqu'ils représentaient leur Secte et qu'ils devaient bien se comporter, Xian se leva le premier en bon héritier, suivi par Jia Li qui était encouragée par Muwen tandis que Meiling acclamait son Jeune Maître. Hiwang les imita, forcé. Yichen hocha négativement de la tête.
— C'est un très mauvais moment à passer, chuchota Wulong. Tu peux le faire. Ne génère pas de problèmes inutiles. J'ai l'impression que Meng n'attend que ça. Il retournerait ton refus contre toi.
— J'y vais...à condition que je sois ton favori et que tu m'encourages en tant que vainqueur, répliqua le jeune.
L'alchimiste lui sourit faiblement et acquiesça. Yichen lui saisit les hanches et le posa sur le siège adjacent, puis lui envoya un baiser volant qui fit rougit son aîné et il partit à la suite des trois autres vers les escaliers. Ils descendirent au milieu de la foule qui les appelait en harmonie. Ils aspiraient à une bataille féroce. Le jeune de Jiǎo huá roula des yeux ; il se rendait compte pour la énième fois de l'absurdité de son peuple, toujours en quête de sang et de morts. Il était comme eux, malheureusement, élevé par ces mœurs terribles. Ils se placèrent au centre et ils prirent les épées que des gardes apportaient. Ils se saluèrent et patientèrent pour que Meng autorise le combat.
— Fixons le point de victoire : l'incapacité de se relever. Si dix secondes filent et que le guerrier reste à terre, il perd.
Ils soupirèrent en cœur, mais acceptèrent la condition. Quel autre choix avaient-ils ? Ils ne se révolteraient jamais entourés d'un public de Jiǎo huá à la magie puissante et imprévisible. Cependant, ils n'avaient plus touché d'armes depuis la Fosse des Lamentations, leurs corps étaient un peu rouillés, mais ils s'échaufferaient vite.
Un gong résonna.
Sur-le-champ, Jia Li sauta sur sa droite, car une épée vola près de son visage. Yichen la ciblait. Hiwang se tourna vers le Jeune Maître et d'un sourire désolé, il lui bondit dessus. Les deux paires bataillèrent un temps. Jusqu'à ce que le benjamin use de son pouvoir sur la mercenaire. Elle hurla de douleur, un braillement guttural et violent ; il la poussa dans les airs et elle s'écroula des mètres plus loin. Le Seigneur s'était stoppé à son cri – qui n'augurait rien de bon pour la suite du combat. Cela permit à Xian-Jun de frapper sa jambe. Un réflexe. Il éprouva aussitôt une culpabilité lancinante.
— Oh, par tous les dieux, votre jambe, pardon... Je suis confus ! Pardonnez-moi, Hiwang !
Il regretta dans la seconde, laissant tomber son épée au sol pour courir à son côté. Son entraînement l'obligeait à toujours localiser les points faibles de ses adversaires et de les viser. Xian n'avait pas réfléchi et avait heurté cruellement sa jambe sans imaginer les conséquences.
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La fosse des Lamentations
FantasíaQuand le monde bascule dans l'ombre, seuls de véritables héros peuvent le sauver. Tout le monde pensait les connaître, que ce soient les cultivateurs, les prêtres, les immortels ou les mortels. Tous ont cru comprendre ce qu'avaient enduré les Champi...